Le dernier spectacle d’une artiste française auquel j’ai eu la grande chance d’assister il y a peu est venu toucher en plein cœur les questions politiques plus vives encore à l’approche des élections présidentielles. Ce spectacle, véritable comédie musicale née de la rencontre entre une chanteuse de renom et un chorégraphe, nous indique que face à l’oubli et à l’obscurantisme une autre voie est possible : celle de la création artistique qui invite chacun à ne pas cesser de se souvenir.
Avant même que la musique ne commence, une voix-off et des photos d’époque projetées sur grand écran nous plongent dans le contexte de la guerre d’Espagne où des centaines de milliers de personnes ont dû fuir pour sauver leur peau. C’est le cas d’une jeune fille, emportée par un train, avec, pour seule boussole, la consigne de descendre à Carcassonne. Elle laisse derrière elle sa terre, sa famille et son identité.
Rebaptisée Joséphine B., elle grandit dans le sud de la France puis gagne Paris où sa nouvelle vie l’attend. Elle enchaîne des petits boulots qui la conduiront jusqu’au fameux cabaret ! C’est dans cet univers où les corps se laissent enivrer par la musique et les voix qu’elle est surprise par le hasard d’une rencontre avec un homme. Pour le meilleur et pour le pire, ces deux-là s’aimeront à la folie, jusqu’à ce qu’une autre guerre ne les rattrape.
Il est tué. Elle doit continuer à vivre. Elle découvre alors qu’elle n’est plus tout à fait seule. Elle attend un enfant. Une idée s’impose : revenir, volver ! Revenir sur sa terre, retrouver sa famille et son identité oubliée pour transmettre à son fils ses origines. L’accueil ne sera pas à la hauteur de ses espérances. Mais les reproches et les déceptions ne la réduiront pas au silence. La preuve en est dans la force et le talent de sa petite fille, qui, le temps d’un spectacle, nous entraîne avec elle sur la trace de Joséphine pour la ramener à la vie.
Au-delà de cet hommage où l’artiste et son personnage ne font plus qu’une, un horizon se dessine, celui du souvenir et de la mémoire. Ne pas oublier l’histoire de celles et ceux qui nous ont précédés constitue à mon sens l’ultime rempart contre la pulsion de mort qui œuvre plus que jamais ici et ailleurs, aujourd’hui et demain. C’est ce que nous enseigne cette artiste, qui, avec son nom1, a su revenir à ses origines et nous invite à en faire autant.
1 Il s’agit d’Olivia Ruiz qui a troqué son patronyme pour celui de sa grand-mère espagnole qui a fui le régime dictatorial de Franco, grand-mère qu’elle incarne dans son spectacle Volver mentionné ci-dessus. En espagnol, Ruiz signifie « fils de Rui » Avec son nom de scène, l’artiste réintroduit dans la lignée familiale le nom perdu durant la guerre d’Espagne et permet ainsi de maintenir vivante la mémoire du passé.