Impossible d’oublier la manière dont vos paroles ont été entendues quand vous avez franchi le pas de demander une analyse. La rencontre a fait évènement et vous a laissé stupéfait. L’inédit a été de vous confronter à une manière d’être interrogé qui ne vous est jamais arrivé auparavant.
Les questions qui vous ont été posées dans ce lieu isolé du brouhaha du monde ont été précises, vous avez été invité à dire en vous éloignant du ça parle1. Quel vacillement introduit par cet écart ! C’est rare que cet effort vous soit demandé ailleurs. Dans ce lieu, les mots résonnent, ici rien ne va de soi, aucune expression n’est banale. On vous arrête, on vous fait répéter. Un soulagement, un enthousiasme ou une certaine angoisse peuvent se produire et parfois ce choc éveillera le désir décidé d’entrer en analyse.
La surprise est de la partie, un dérangement aussi à partir d’une simple question : comment dites-vous ? Une agilité du psychanalyste est nécessaire, une manière de questionner sans complaisance. Une certaine vivacité s’impose pour produire un : c’est ça, je viens pour cette infime question que j’ai réussi à formuler grâce aux questions acérées. Souvent il s’agit d’un dire encore opaque qui s’éclaircira après plusieurs tours. C’est ainsi que j’entends l’affirmation de Lacan : « Il n’y a pas d’entrée possible en analyse sans entretiens préliminaires.2 »
C’est une chose délicate de commencer à recevoir quelqu’un, la demande est à accueillir avec précaution. Il est impératif de la soupeser, de la prendre avec des pincettes3. Lacan insiste4 sur le nécessaire de ce temps des entretiens préliminaires. Il faut aller vite, mais lentement. Gageure !
« Dans l’analyse, c’est la personne qui vient vraiment former une demande d’analyse, qui travaille. À condition que vous ne l’ayez pas mise tout de suite sur le divan, auquel cas c’est foutu. Il est indispensable que cette demande ait vraiment pris forme avant que vous la fassiez étendre.5 » C’est direct, sans ambages. Qu’est-ce qui est foutu, si la précipitation emporte l’analyste ?
Lacan le dit quelques lignes plus loin : la précipitation conduit à considérer celui qui demande « comme quelqu’un que vous devez pétrir. C’est tout le contraire. » C’est le pétrisseur-analysant qui se met au travail en malaxant sa propre motérialité pour qu’elle devienne aérée et malléable.
S’abstenir ! Quelle difficulté pour celui qui se « pose comme analyste », la pratique du contrôle, ô combien nécessaire, est un recours pour cerner comment se présente la demande d’analyse au cas par cas.
Commencer une analyse « ne doit être ni la première, ni la seconde fois, au moins si vous voulez vous comporter dignement ». Un temps est nécessaire pour obtenir les divins détails. « Si Lacan a mis l’accent sur les entretiens préliminaires, c’est qu’il avait l’idée qu’il fallait rassembler les données » et les « transformer […] en problème ». Voici un des enjeux des entretiens préliminaires : le passage d’un ça me pose un problème à poser un problème. Un temps logique est nécessaire pour parvenir à la formalisation d’un « problème [ qui ] vaut la peine »6 et s’engager ainsi à devenir un analysant.
« Nous accueillons […] sans préjugés, sans présupposés, sans savoir, sans mémoire7 » note Jacques-Alain Miller. Oui, mais l’entrée ne se fait pas tout de suite. Les entretiens préliminaires se situent entre le temps qui va de l’accueil à l’entrée et ils n’ont pas de durée standard. Se comporter dignement, note Lacan. La pratique des entretiens préliminaires entraîne une question éthique.
Omaïra Meseguer
[1] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 95-105.
[2] Lacan J., Je parle aux murs, Paris, Seuil, 2011, p. 43.
[3] Miller J.-A, « L’orientation lacanienne. Cause et consentement », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 18 novembre 1987, inédit.
[4] Cf. Lacan J., Je parle aux murs, op. cit.
[5] Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », texte établi par J.-A. Miller, La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 9.
[6] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Les us du laps », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 27 mars 2000, inédit.
[7] Miller J.-A., L’Os d’une cure, Paris, Navarin éditeur, 2018, p. 20.