Nombreuses sont les voix qui se sont levées depuis l’apparition du COVID-19 pour pointer du doigt l’ennemi : l’étranger. Et cela, de diverses manières : double faute des Chinois qui auraient acheté et mangé un étrange animal, le pangolin dans des marchés sans aucune hygiène ; aux touristes et aux migrants qui apportent leurs microbes dans nos pays si propres ; aux italiens qui ne savent pas gérer une crise sanitaire…
Pour sûr, ce virus ne cesse pas de nous déconcerter : sa mutation ne peut être définie par aucune formule scientifique ni aucun calcul prédictif. Il provoque au plus haut point « l’angoisse des savants » [1], dont Lacan a parlé.
Nous pouvons lire ce phénomène, à la lumière de la psychanalyse, comme un éclairage sur le côté obscur de la nature humaine. N’est-ce pas la leçon de Sigmund Freud qui ne se faisait aucune illusion sur la supposée bonté de l’être humain ? L’homme est un être égoïste et peu scrupuleux, qui ne poursuit que la satisfaction de ses pulsions. La maxime « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » indique une proposition impossible : on ne peut pas aimer son prochain si on ne le connaît pas. Et si on le connaît, il est aisé de l’aimer car il nous ressemble de telle sorte que nous nous aimons en lui. En revanche, la maxime qui s’applique le mieux est la suivante : « Homo homini lupus » [2]. L’être humain suit ses pulsions et tend à exploiter, maltraiter, profiter de son prochain, plus qu’à l’aimer [3].
Il est dès lors sans surprise de voir régulièrement des scènes violentes ou irrationnelles parmi les consommateurs de supermarchés. Contre toute logique de précaution de base, certains arrachent des paquets de papier toilette des mains d’autres et/ou stockent des quantités de pâtes ou de riz pour se prémunir d’une disette voire d’une famine. Dans d’autres scènes du quotidien, on a pu voir un homme frapper un SDF sous prétexte qu’il pouvait le contaminer. On a également pu constater l’agressivité à l’égard des agents sanitaires : une patiente exige ainsi qu’une infirmière enlève son masque pour le lui donner, sous prétexte que si l’infirmière est contaminée cela fait partie du métier.
« Éloignez-vous », « Vous pouvez me contaminer », « Pestiféré », ce sont des signifiants qu’on pouvait entendre le 17 mars au matin, quelques heures avant le confinement décrété par le gouvernement français. On voyait également des voisins saluer à la dérobée d’autres voisins.
Certes, le virus c’est l’Autre, mais qui est l’Autre ? La psychanalyse nous enseigne que l’Autre peut prendre des visages différents. C’est l’étranger, mais c’est aussi le corps, qui ne peut pas être domestiqué, qui se comporte comme un Autre. Et le virus prouve cela avec certitude. Mais aussi, l’Autre c’est l’Autre que nous avons en nous. Ne sommes-nous pas divisés par le langage qui nous constitue et qui fait qu’une part de nous-même nous soit étrangère ?
La passion qui fait qu’on ne puisse pas supporter l’Autre c’est la haine et elle pointe l’être de l’Autre, pour obtenir son rabaissement, voire sa destruction. Mais ce que l’haineux méconnaît – car la haine ne fait pas bon ménage avec le savoir – c’est que cet Autre si haï est en lui-même. Et que, faute de pouvoir l’accepter, tous les efforts s’adressent à cet Autre qui est en dehors. Cet ennemi invisible qu’est le virus nous rappelle que l’Autre peut aussi être en nous-même.
À l’opposé, nous pouvons saluer quelques initiatives solidaires et bienvenues qui montrent que tout n’est pas perdu.
Enfin, des inventions voient le jour pour rester en lien : des apéros par Instagram, des anniversaires par Skype, des réunions de famille ou de travail virtuelles. La relation analysant-analyste, échappera-t-elle à cette conjoncture ?
[1] Lacan J., Le Triomphe de la religion, Paris, Seuil, 2005, p. 74.
[2] « Homo homini lupus » est une expression latine qui signifie « L’homme est un loup pour l’homme ».
[3] Cf. Freud S., Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971, p. 60.