Akim, 28 ans, a perdu sa sœur Dalila, morte d’une tumeur au cerveau à l’âge de 30 ans, il y a 1 an. Il me raconte ses dernières semaines avec émotion : sa jeunesse, sa beauté, son calme, sa douceur, les soins palliatifs où sa mère et lui-même se succèdent au chevet de la malade et de son bébé de 20 mois, dormant même auprès d’elle : « on était coupés du monde ». Il dit l’abandon du bébé par son père, qui a fui dès l’annonce du diagnostic. Il dit sa douleur, la compassion qu’inspire unanimement la jeune malade aux personnes du service. « Dead ! » s’écrie-t-il brusquement en me regardant. Il a des photos sur son iPhone et je m’oppose à ce qu’il me les montre, l’invitant plutôt à parler.
Après une séance manquée et un arrêt de travail, Akim revient au CPCT me parler de ses relations avec les femmes. Sa sœur était une amie, une confidente : « on était complices, dit-il. J’ai eu beaucoup de femmes, plusieurs à la fois. Mais je ne suis jamais amoureux. Je veux me marier. » Nous laissons ce « j’ai eu » dans le flou.
C’est sur les réseaux sociaux qu’il entreprend une quête qui devient le principal thème de nos conversations. Il énumère une liste de critères : beauté, modernité, un bon travail (comme lui), virginité. Les candidates qu’il rencontre répondent en général à toutes ces exigences, mais aucune n’est vierge. Sans trop paraître intéressée, je l’invite à me décrire les détails qu’il recueille de leur vie. Il est perplexe. Sa mère lui dit que la question de la virginité, ça se réfléchit et j’acquiesce, mais il n’arrive pas à passer outre. L’une de ces non chastes demoiselles sort même d’une liaison de 6 ans avec un black. Le tabou ne semble pas tant d’ordre raciste qu’un redoublement de l’effet phobique de la jouissance féminine. Akim veut être le premier homme à pénétrer son épouse et ainsi inscrire « sa marque en elle » ; ce n’est pas un critère culturel. Sa mère, omniprésente comme conseillère, à beau l’inviter à réfléchir, il se soustrait à la séduction des postulantes.
L’événement traumatisant du décès de sa sœur fait écho à un autre, la mort de son père, d’un cancer également, 10 ans auparavant. Contrairement à sa mère, son père n’est pas pour lui une figure idéale. Il est né en Algérie et, pendant la guerre d’indépendance, « il s’est battu du côté des français ». Il n’est jamais retourné en Algérie, mais il a fait venir ses filles et sa femme, qui l’a trompé. Après « le ratage de son mariage », le père s’est remarié avec une marocaine dont il a eu 2 enfants. Il s’est « épuisé au travail ». « À la fin, nous nous sommes regardés, dit-il, et dans ses yeux j’ai vu qu’il m’aimait et me pardonnait. »
À la mort de son père, Akim avait 17 ans. Il était « déboussolé » et s’est déscolarisé. Il est sorti avec une amie de sa sœur et leur relation s’est poursuivie longtemps, par intermittence. Il l’a toujours trompée, dit-il. Mais en 2014, elle lui annonce qu’elle est enceinte, en brandissant une échographie. En proie à l’indécision, il discute avec sa sœur qui elle aussi est enceinte. Sa mère consent à un mariage sans cérémonie. Mais lorsqu’il revoit la jeune femme, elle a avorté sans rien lui dire, et « pas avec des cachets ! À l’hôpital, avec une opération… » Les mots lui manquent : « Vous vous rendez compte, elle a tué mon enfant ! »
Son père a tout pardonné… d’avance. Mais l’interprétation du regard prétendument pacifiant du mourant laisse apercevoir l’effet mortifiant d’un regard réel qui le fixe là où la sexualité le convoque. « Une mère, c’est sacré », a-t-il proclamé par ailleurs, mais ce n’est pas l’aura maternelle qui l’amène à rechercher une épouse chaste. La virginité a plutôt la valeur d’une certitude qui le préserve probablement de la rencontre de l’Autre sexuel. C’est une hypothèse élaborée lors de la conversation clinique avec Jacques Borie.