Il y a plusieurs politiques du symptôme. Il y a celle qui veut adapter le sujet au discours du maître, profondément ébranlé par le discours de la science. Douce en ses formes, autoritaire en son fond, elle entend ramener la singularité à l’universalité. Il y a la politique freudienne du symptôme, qui tire, dans le champ social, les conséquences de son expérience. Freud a donné au symptôme, parmi les formations de l’inconscient, une place particulière. C’est la leçon de l’hystérique : les éléments libidinaux se transforment en symptômes. Les éléments agressifs, en insatisfaction, mécontentement, malaise. Là, la clinique passe dans le politique : toute formation humaine, nous dit Freud, est cimentée par des relations libidinales réciproques et pâtit de cette solidarité. Ainsi considère-t-il dans tous les cas les institutions comme le résultat d’un échec. Cela ne doit pas nous paralyser, dit-il ![1]
Enfin, il y a la politique lacanienne du symptôme. Pour Lacan, en son fond, le symptôme n’est pas en lien avec l’identification, plutôt est-il appelé là où il n’y a pas de signification universelle. Le sinthome est la façon qu’a le symptôme d’atteindre la singularité, au point de devenir le nom du destin du sujet. Lacan a eu besoin de produire un signifiant inédit, le sinthome, pour dire ce fait nouveau que Joyce lui avait fait découvrir. Le sinthome, comme solution au regard d’une impossibilité et non d’un échec. Il y a la réponse par le symptôme, qui a montré à Freud les limites du pouvoir de l’identification, il y a la réponse lacanienne qui nous invite à agrandir les conséquences du symptôme, jusqu’au point d’en répondre et d’y impliquer la pulsion. Le sinthome, dirait Lacan à Freud, pour faire avec ce qui n’a pas de solution véritable.
Considérons tout d’abord la première politique, qui veut effacer la dimension de l’incommensurable et qui promeut le tout signifiant. Elle se déploie en de multiples variantes mais repose en son fond sur une logique assez simple qui n’est pas étrangère aux techniques du marketing. La tendance à l’unification qu’elle opère implique toujours de séparer le symptôme du sujet qui le porte, voire, d’en faire la victime. Cette séparation permet, dans tous les cas, de supposer une causalité organique au trouble.
La véritable unification est là : si la causalité organique ou génétique n’est pas démontrée aujourd’hui, elle le sera demain. C’est le critère de l’évidence[2]. Une fois posée cette loi de formation, on obtient des séries. On peut alors, sur tous les fronts, se livrer à une interprétation des mini signes qui associent dans un rapport causal les symptômes dont souffre quelqu’un, avec un trouble, déjà identifié ou à promouvoir.
Bien sûr, l’apparition d’une nouvelle catégorie s’accompagne nécessairement de l’apparition d’individus que l’on peut dénombrer, répondant à cette catégorie. Une conception du symptôme, donc, qui comporte sa mise en scène, et qui, comme nous l’a montré l’actualité journalistique de la rentrée, implique de s’en prendre directement à la psychanalyse.
Comment s’opère l’extension d’un domaine ? Le mode du témoignage connaît un engouement certain. Relayé par les médias, il amène des lecteurs, des spectateurs à se reconnaître dans le tableau présenté. La liste est longue de ces propositions, de ces allégations qui nous viennent de l’Autre et qui nous figent dans l’univers de représentations préfabriquées : harcelés moraux, dépressifs, toccistes, hyperactifs, précaires etc. […]
Dans tous les cas il s’agit de faire connaître, de briser le silence, souvent de nommer et de prévenir. C’est un nouveau régime de construction d’un Autre consistant.
La politique freudienne du symptôme, tenait compte de ce que l’hystérique avait enseigné à Freud. On peut sans doute avancer qu’elle en est restée prisonnière et que cela tient à une certain opérativité du discours du maître, contemporain de l’époque freudienne. A l’omniprésence du discours humain, l’hystérique objecte par son symptôme, plus fort que l’idéal.
Que montre-t-elle ? Plus on cherche à obtenir une conformité, à ramener le sujet de sa particularité à l’universalité, plus on fait apparaître l’impuissance, plus on programme la réaction thérapeutique négative. Le discours hystérique montre ce que le symptôme doit à la logique subjective : une cohérence privée, tissées d’associations qui tiennent aux lois du langage. L’inconscient génère des symptômes. La clinique de l’hystérie nous enseigne quelque chose de très utile pour aborder le malaise dans la civilisation : le sujet ne trouve jamais de véritable apaisement de ses tensions subjectives dans l’identification communautaire. Il se porte mieux, quand on l’aide à en desserrer l’étau. Plutôt choisit-il l’identification au petit trait de jouissance qui choque, fait problème. Ainsi le symptôme hystérique, derrière la revendication ou la plainte, est-il satisfaction du petit passe-droit, de l’exception, qui met en échec les tendances socialisantes. C’est une manière de répondre à l’affirmation collectivisante. Cependant, cette protestation reste prisonnière de la répétition, d’être captive de l’identification. […]
Pour aborder les problèmes contemporains, il nous faut considérer le symptôme comme ce qui nous vient du réel. Jacques Lacan nous montre qu’il est tentative pour faire avec un impossible, plus exigeant que la réalité langagière à laquelle, cependant, il recourt. Pas d’espoir d’atteindre le réel par la représentation. Nous apercevons mieux, dans notre monde contemporain, que quelque chose objecte au fait que le sujet trouve sa place dans l’Autre. Nous comprenons mieux que la civilisation est faite de ce que nous bricolons, en marge de ce qui fait standard. Nous découvrons ce que Lacan enseignait en 75, avec « le sinthome »[3]: pas seulement le malentendu dont le sujet hérite et qui lui vient de l’Autre, mais le truquage qu’il s’invente.
Dès lors, il nous faut réviser les modalités des discours. Il est plus difficile aujourd’hui de faire lien social à partir du champ défini par le semblant paternel, à partir de l’Idéal. Lorsque le lien n’est plus soutenu par le discours du maître, que la connexion au savoir se perd, il devient plus problématique de viser la vérité de l’inconscient, de rechercher un type de décision subjective qui interroge l’Autre, sur son désir. […] Nous, psychanalystes lacaniens, supposons que le symptôme, est au principe du vivant, qu’il parle tout seul, comme le sujet contemporain. C’est le point d’où nous partons.
Le concept de sinthome apporté par Lacan inclut ce réel. Il est le symptôme freudien en tant qu’il est accroché au langage[4], en tant que l’on peut en faire muter le sens, et il prend en considération la part du symptôme, qui est bourdonnement, tourbillon, celle qui ne s’adresse pas à l’Autre. L’analyse avertit qu’il y a bien des façons de faire avec ces marques, ces dépôts de la langue, capables de drainer une satisfaction particulière et qui, paradoxalement, peuvent se partager. On ne guérit pas du symptôme qui est nœud d’équivoque. Le mieux que l’on puisse faire dit Lacan, c’est de le déplacer, car la jouissance progresse dans le tissu des équivoques. […] Ce réel hors sens pâtit du symbolique et circule dans le langage. Là, la clinique passe dans le politique : les symptômes peuvent s’assembler, se multiplier, parce qu’ils ne répondent pas au programme identificatoire.
Au fond, Freud avait une vision réaliste du symptôme : pas de lien social sans symptômes. La vision lacanienne est différente. Elle instaure une équivalence entre lien social et symptôme[5]. Cette perspective met le psychanalyste à l’heure de notre modernité. On entre dans la langue commune à partir de ce que l’on a de plus singulier et c’est ainsi que l’on peut se dire à l’Autre.
Ce texte a paru pour la première fois le mardi 6 octobre 2009, sur le site de l’École de la Cause freudienne.
Pour lire le texte dans son intégralité, rendez-vous à l’adresse suivante : http://www.causefreudienne.net/user-la-verite/
[1] Freud S, Malaise dans le civilisation, Paris, PUF, 1981, p. 32.
[2] CF DSM-III, 1988.
[3] CF Lacan J., Le séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005.
[4] Ibid., p. 39.
[5] CF La conversation d’Arcachon, éditions Agalma, 1997.