« La guérison, c’est une demande qui part de la voix du souffrant, d’un qui souffre de son corps ou de sa pensée1 », dit Lacan. Au commencement, il y a quelqu’un qui souffre et qui demande à un autre qu’il le soulage. L’impact avec quelque chose d’insupportable – un réel qui fait irruption de manière toujours inopportune – provoque une interruption douloureuse dans le continuum de la vie. L’urgence surgit de cette rencontre pénible. Elle est subjective, car elle ne provient pas d’une blessure physique, même si le corps peut y être impliqué. L’urgence subjective devient le moteur d’une requête. Elle précède ce qui va configurer un acte : celui d’appeler. L’appel se transforme en demande de guérison. La demande se formule comme une plainte à l’adresse de celui qui est mis en position de l’écouter.
Chacun est à même de rencontrer une urgence subjective. Il est devenu du domaine courant que quand ça ne va pas, il faut aller parler. Les centres qui offrent un accueil d’urgence par l’écoute foisonnent. Jacques-Alain Miller relève que la prise même de parole a un effet thérapeutique immédiat2. Mettre du sens grâce aux mots là où il y a eu une interruption est thérapeutique en soi. Une fonction inhérente à la parole est celle de l’assimilation d’un réel qui dérange, remettant un ordre à ce qui se trouve sens dessus dessous. Cela fait tendre vers l’homéostase, tant voulue par le principe du plaisir, délivrant un certain apaisement. Parler, dans une certaine mesure, dissout l’angoisse.
La rencontre avec l’expérience de la psychanalyse fait en cela exception. Le CPCT introduit celui qui s’y adresse au discours analytique. Ce n’est pas un lieu d’écoute, mais un « lieu de réponse3 », comme le soulignait J.-A. Miller. L’usage de la parole au CPCT n’est pas celui promu comme un « cataplasme de sens4 », censé faire du bien. Le ça ne va pas, ça va mieux, ça va bien n’est pas une boussole qui donne la direction du traitement en psychanalyse. Ceux qui s’orientent de Lacan ont l’idée que le réel est inassimilable et qu’il ne sera pas résorbé par le sens. « Le réel n’est pas le monde, le monde tourne, le réel se met en travers, le réel discorde5 », nous avertit J.-A. Miller. Il s’agit donc, avec la psychanalyse, d’opérer dans la direction du non-sens.
J.-A. Miller donne une formule des urgences subjectives : « Elles tiennent toujours pour le sujet à l’apparition de la faille d’un savoir6 ». Guidés par Lacan, les cliniciens qui opèrent au CPCT le font en visant un repérage. Scander, couper, souligner, interpréter, ponctuer… Ces opérations faites à même la trame du langage tendent à cerner cette faille provoquée par le surgissement d’un réel. Le traitement réduit à seize séances convoque à être prompt, tout en gardant le tact. À l’urgence subjective du patient répond une certaine précipitation de l’acte du praticien.
À l’encontre de vouloir dissoudre le réel en rajoutant du sens, il y a l’usage de la parole comme une façon de mieux dire ce qui affecte. Ainsi, au fil d’un traitement rythmé par les scansions du praticien, telle patiente passe de s’appeler « l’aidante » – terme en vogue – à se dire « la médiatrice ». Cela épingle de façon plus authentique sa manière de réagir lorsqu’elle affronte un instant de perplexité, dès lors repéré. S’éloigner du sens commun vers une manière singulière de témoigner de ce contre quoi on se cogne douloureusement peut amener à un petit gain de savoir. Cela constituera un outil précieux pour mieux faire avec l’insupportable.
Andrea Orabona
[1] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 512.
[2] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Du symptôme au fantasme, et retour », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 13 avril 1983, inédit.
[3] Miller J.-A., « Vers Pipol IV », Mental, n°20, février 2008, p. 186.
[4] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le lieu et le lien », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 6 décembre 2000, inédit.
[5] Ibid.
[6] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Du symptôme au fantasme, et retour », op. cit.