Une nouvelle perspective sur la psychanalyse de l’enfant est en cours d’élaboration dans l’orientation lacanienne impulsée par Jacques-Alain Miller.
Peurs d’enfants, Le savoir de l’enfant, Interpréter l’enfant, les trois ouvrages parus aux éditions Navarin, dans la collection La petite Girafe, qui recueillent les « travaux récents » de l’Institut de l’Enfant – UPJL, dessinent désormais le graphe de cette élaboration.
À la suite des trois Journées d’étude de l’Institut de l’Enfant – UPJL, nous avons la chance de disposer de trois ouvrages qui donnent une perspective sur notre façon de nous situer aujourd’hui
1) face au symptôme de l’enfant,
2) sur notre façon de considérer le statut de l’inconscient,
3) sur notre action dans la rencontre et dans la cure avec l’enfant.
C’est une perspective à la fois large, du fait de la diversité des auteurs, qui ne sont pas seulement des analystes, mais aussi des intervenants – soignants, éducateurs, pédagogues – qui témoignent de la façon de se déplacer pour faire leur place au symptôme de l’enfant, à son savoir et pour dégager le terrain afin que ni le soin, ni l’éducation, ni les apprentissages, ne servent à faire taire l’enfant dans son énonciation.
Mais c’est aussi une perspective très « aigüe » dans son intention, car elle s’est construite à partir de trois textes d’orientation prononcés par Jacques-Alain Miller lors de ces Journées.
Cette perspective a ceci de nouveau qu’elle n’est pas « déclarative », qu’elle ne prétend pas fonder une « spécificité » de la psychanalyse quand elle s’applique à l’enfant.
Tout au contraire, c’est à accompagner, au un par un ou dans les lieux ad hoc, des enfants appliqués à faire entendre leurs voix singulières, que les psychanalystes et les praticiens de l’enfance s’enseignent sur les points les plus vifs des énigmes freudiennes et de l’effort vers le réel qui traverse l’enseignement de Lacan.
Cette perspective est aussi nouvelle d’être issue d’une mise en chantier qui se spécifie à la fois d’être collective et de prendre appui sur des rencontres singulières.
Voyons ce qu’il en est :
- Les peurs de l’enfant, que nous mettions à notre étude lors de la première Journée d’étude de l’Institut de l’Enfant, nous ont ouvert le champ du symptôme, en tant qu’elles font modèle pour le symptôme analytique : elles se disent et, d’être entendues, elles peuvent se lire alors, pour l’enfant et son analyste, comme les traces précises du moment où la langue s’incorpore et où les signifiants phobiques s’isolent dans l’angoisse, de prendre valeur de jouissance. Comme l’indique J.-A. Miller : « Une phobie, c’est une élucubration de savoir sur la peur, ou sous la peur, dans la mesure où elle est son armature signifiante »[1]
- C’est ainsi que le savoir de l’enfant est venu logiquement faire le pendant du symptôme. La présence conjointe pour le parlêtre, dès sa venue au monde, du savoir et du symptôme, est une vérité toujours aussi scandaleuse pour déclencher chez les pouvoirs constitués autour de l’enfant une volonté farouche d’y substituer leurs savoirs pré-formés. Car le savoir « authentique » de l’enfant contient en son cœur le germe de contestation du caractère fallacieux des autres savoirs : la présence d’un trou tout à fait singulier, sous la forme d’un fait réel impossible à négativer.
C’est ce à quoi Freud a donné le double nom de « pulsion sexuelle » et de « pulsion de mort ». Ce plus-de-jouir est en effet un pousse au savoir mais, s’il est réduit au silence, il devient arme de destruction pour l’édifice subjectif, atteignant aussi bien le sujet – culpabilité et angoisse – que ses partenaires – persécution et retour de la jouissance dans le corps. Passé un « temps de latence », ce sera à l’adolescence que ce savoir censuré, refoulé ou rejeté, fera retour, avec les effets que l’on connaît.
- D’où l’interprétation attendue du psychanalyste pour permettre au sujet enfant de ne pas ignorer cette part perdue de son être, en s’appliquant à en cerner la valeur de jouissance, selon la règle humaine du plus-de-jouir, la règle du « qui perd gagne » : en ce point peut advenir tout le jeu possible de l’enfant avec les objets pulsionnels et avec les objets du monde, plus ou moins gadgetisés.
Dans ce mouvement où s’édifie ce triangle du symptôme, du savoir et de l’interprétation, nous avons appris que ces apports cliniques et épistémiques prennent valeur politique :
- Le symptôme du parlêtre fait valoir un désordre d’un tout autre ordre que celui que prône l’a-théorisme de façade revendiqué par les tenants du DSM. Dans ce mouvement actuel qui n’est pas sans inquiéter tous celles et ceux qui accompagnent l’enfant, « l’action concrète de la psychanalyse » se vérifie – selon les termes de Lacan – être « de bienfait dans un ordre dur »[2]
- Le savoir de l’enfant réduit à rien, il ne reste que savoirs à ingurgiter : nous savons qu’ils manquent alors de goût et provoquent plutôt dégoût et rejet. Nos collègues enseignants ou éducateurs nous ont appris qu’il était possible de retrouver au cœur de ce rejet, par la voie de « trognons » de paroles ou de lettres, les traces de goûts anciens.
- L’interprétation nous a fait saisir, en acte, combien la jouissance est la loi du parlêtre, d’où l’impérieuse nécessité de la reconnaître à sa place, pour la nommer, si possible, la localiser, chercher des issues, « la dépenser », appareillés que nous sommes de la parole, et de ses silences.
Chacun, à la lecture de ces trois ouvrages, qui font maintenant série, découvrira certainement d’autres pistes que celles-ci, qui me sont venues depuis la place qui était la mienne d’en « diriger » l’édition. Disons plutôt que ces trois ouvrages se sont constitués de nous être laissés diriger par ce triangle évoqué plus haut, construit autour de l’axe donné par J.-A. Miller et ses textes d’orientation. Le « nous » n’est pas ici de pure forme, car chacun de ces volumes a bénéficié de l’attention avertie de notre éditrice, Ève Miller-Rose et du travail de fond d’Hervé Damase pour leur rédaction, sans oublier notre collègue Éric Zuliani, co-éditeur pour le volume 2.
Chacun y retrouvera aussi la marque donnée par Judith Miller, directrice de la Collection, ainsi que celle de mes collègues du Comité d’initiative de l’Institut de l’Enfant, Jean-Robert Rabanel et Alexandre Stevens.
[1] Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », Peurs d’enfants, Paris, Navarin Éditeur, 2011, p. 13.
[2] Lacan J., « Prémisses à tout développement de la criminologie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 125.