Réalisé par D. J. Caruso à partir d’une idée de scénario de Steven Spielberg, Paranoïak (titre original : Disturbia) met en scène Kale Brecht (interprété par Shia LaBeouf), un garçon de 17 ans assigné à résidence pour avoir frappé un professeur. Celui-ci avait discrédité son père, décédé dans un accident de voiture. Afin de tromper l’ennui, il observe ses voisins par les fenêtres de sa maison. Il fait alors deux découvertes : une belle jeune fille, Ashley Carlson (jouée par Sarah Roemer), qui vient d’emménager et un homme étrange, Robert Turner (David Morse) qu’il soupçonne d’être un meurtrier. Paranoïak apparaît comme une version de Fenêtre sur cour au XXIème siècle – c’est-à-dire à l’époque des objets connectés – et à la période de l’adolescence – soit avec un héros entravé sur le chemin vers une « sortie de l’enfance1 ».
Figé dans l’enfance
Dès la scène inaugurale du film, le problème de la rencontre avec l’autre sexe est posé. Au bord d’une rivière où ils s’adonnent à une partie de pêche, Kale et son père partagent un moment agréable. Quand son père cherche à obtenir quelques confidences de la part de son fils, celui-ci lui répond avec humour qu’il a rencontré une fille, qu’elle est enceinte et qu’ils emménageront bientôt ensemble. « Ton petit a grandi et va bientôt être papa » annonce Kale, laissant poindre à la fois son désir pour une fille et le malaise que suscite la rencontre sexuelle, court-circuitée dans la plaisanterie par la paternité précoce.
Après la mort de son père, Kale se fige dans l’enfance. Tandis qu’il dort en cours d’espagnol, son ami Ronnie présente un exposé sur ses projets de vacances qui transpire de libido. Quand le professeur le réveille, lui demande ce qu’il compte faire pendant l’été et constate qu’il n’a pas révisé, Kale répond : « je me suis arrêté avant… ». Réponse équivoque qui indique précisément sa position subjective : il est arrêté. D’une part, sa relation au savoir est bridée : ses apprentissages scolaires sont en panne, aucune supposition de savoir ne paraît à l’œuvre, ce qui le conduit à s’assoupir en plein cours. Nulle « rencontre avec les maîtres2 », telle que l’a décrite Freud, qui soutiendrait son intérêt pour le savoir dispensé. D’autre part, rien ne l’entraîne à faire des projets à l’approche de l’été, ce qui semble ruiner à l’avance l’éventualité d’une rencontre amoureuse. Cette scène établit un contraste entre Kale, dont le désir est en panne quant aux filles et au savoir, et Ronnie, en plein élan, qui lui utilise la langue espagnole dans le jeu de la séduction.
Cet arrêt se trouve renforcé par la peine que doit purger Kale, conséquence du coup de poing asséné à son professeur. Le juge le condamne à une assignation à domicile parce qu’il n’a pas encore atteint l’âge de la majorité. Considéré comme un enfant au regard de la loi, Kale est donc enfermé à domicile, et partant doublement retenu. Si Freud indique que « le détachement d’avec la famille devient pour tout adolescent une tâche que la société l’aide souvent à résoudre par des rites de puberté et d’accueil3 », il se produit strictement l’inverse pour Kale dans la mesure où sa peine resserre les liens à la famille idéalisée qu’il se sent coupable d’avoir brisé.
Afin d’éviter d’ameuter la police, Kale matérialise le périmètre duquel il ne peut sortir à l’aide d’une corde tenue par plusieurs objets relatifs à l’enfance (nain de jardin, crosse de hockey, ski, etc.). Deux espaces se différencient : le domicile – lieu de la jouissance infantile principalement autoérotique dans lequel Kale est enfermé – et l’extérieur – espace inaccessible de l’Autre supposé détenir l’objet du désir, dont le franchissement marquerait la transition vers l’âge adulte.
Franchir la ligne
La particularité de la transition adolescente présentée dans le film réside en ce que Kale ne peut l’effectuer qu’à la condition de résoudre l’enquête sur son voisin. Il s’agit pour lui de traiter sa propre « tache noire4 », qui correspond à la culpabilité de la mort du père, au signifiant « tueur » qui l’accable, en faisant la lumière sur les crimes de Turner. Il pourra alors franchir la ligne qui le séparait du monde extérieur, laisser tomber sa paire de jumelles à laquelle il était rivé pour faire d’Ashley l’objet de son désir et se consacrer enfin à une histoire d’amour.
1 Miller J.-A. (2015), « En direction de l’adolescence », Interpréter l’enfant, La petite Girafe, n°3, Paris, Navarin éditeur, p. 193.
2 Freud S. (1914), « Sur la psychologie du lycéen », Résultats, idées, problèmes I, 1890-1920, Paris, PUF, 1984, p. 230.
3 Freud S. (1930), Malaise dans la culture, Paris, PUF, 2009, p. 46.
4 Lacadée Ph. (2016), « L’adolescent ne veut plus être gouverné », Mental, n°34, p. 150.