Les classifications psychiatriques n’ont cessé de changer, notamment ces dernières décennies. Leurs nomenclatures ont évolué au grès des discours dont elles sont contemporaines. Cependant, dans leur précipitation à rejoindre ces discours, elles n’ont pas anticipé l’impasse dans laquelle elles se trouvent actuellement. Leur existence est désormais remise en question. Elles sont dénoncées comme des discriminations, au nom du fait qu’« il y a […] à la place [des pathologies], des styles de vie librement choisis – une liberté imprescriptible parce qu’elle est celle des sujets de droit » [1].
La clinique analytique se spécifie d’être une clinique du singulier. Chaque sujet est pris un à un, dans ce qu’il dit, en tant que : « Les sujets d’un type sont […] sans utilité pour les autres du même type » [2]. Néanmoins, si l’on pousse à l’extrême la logique de la revendication du style de vie, même le fait d’isoler quelque chose qui fait rupture dans la vie d’un sujet, et donc symptôme, et qui l’amène à rencontrer un analyste, paraît y contrevenir. Tel trait isolé par le sujet comme un accroc dans son existence, l’irruption de quelque chose qui le dérange, peut être pris comme un trait de personnalité auquel l’environnent doit s’adapter. Ainsi, un sujet qui souffre de devoir vérifier trois fois qu’il a bien fermé la porte avant de quitter son domicile, pourrait se revendiquer comme un « vérificateur » et envisager des adaptations en conséquence. Le symptôme serait ici élevé au rang d’insigne de l’individu. Style de vie librement choisi certes, mais coûteux.
Jacques-Alain Miller note concernant la clinique analytique que « [c]’est un savoir de part en part déterminé par les conditions de son élaboration, c’est-à-dire par la structure de l’expérience analytique […] En cela, la clinique psychanalytique, à proprement parler ne peut être que le savoir du transfert » [3]. Il s’agit d’une clinique sous transfert. Ce qui se dit au cours des séances ne peut être dissocié du phénomène transférentiel, dont l’analyste est le support. Le sujet qui vient trouver un analyste suppose que ce qui fait accroc dans sa vie a un sens qu’il souhaite interroger. Les premières séances vont permettre l’enclenchement de la parole analysante. L’analyste par son écoute, son acte de coupure ou d’interprétation renvoie ses dits à celui qui lui parle. Peu à peu, s’installe la supposition que ces dits recèlent un savoir sur le symptôme. C’est la constitution du transfert comme de « l’amour qui s’adresse au savoir » [4].
Ainsi, l’analyste qui se fait adresse est dans le tableau. Sa présence permet pour l’analysant la formation d’un savoir singulier qui jaillit par petits bouts, et qui entraîne une modification des symptômes.
L’analyste lorsqu’il parle d’un cas de sa pratique ne dit pas que tel sujet est comme ceci ou cela, mais témoigne d’un texte qu’il a entendu et sur lequel il a tenté d’opérer, ainsi que des conséquences. Tandis que le savoir en tant que tel se constitue du côté de l’analysant, quelque chose se dépose et produit une transformation du symptôme à l’envers de ce qui fixerait dans une nomenclature clinique.
Laura Vigué
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[1] Miller J.-A., « Tout le monde est fou », La Cause du désir, n° 112, novembre 2022, p. 49-50.
[2] Lacan J., « Introduction à l’édition allemande d’un premier volume des Écrits », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 557.
[3] Miller J.-A., « Clinique sous transfert », Ornicar ?, n° 29, été 1984, p. 142-143.
[4] Lacan J., « Introduction à l’édition allemande d’un premier volume des Écrits », op. cit., p. 558.