Quelle marge de manœuvre peut-il y avoir pour un traitement au CPCT avec des patients persécutés qui semblent davantage relever de la psychiatrie de secteur que de la psychanalyse ?
Mme T. est obèse, du moins l’était-elle jusqu’à son opération de réduction de l’estomac. Ses ennuis ont commencé à partir de là : harcèlement, licenciement et problèmes de voisinage. Mme T. a une explication : avec l’amaigrissement, elle est devenue plus sûre d’elle et les autres n’ont pas supporté. Avant, elle encaissait tout dans la masse. Mme T. fait appel à une personne extérieure pour l’aider à réguler sa jouissance, mais cette soustraction la persécute en retour. Ainsi, Mme T. arrive furieuse : ayant repris du poids, elle a réclamé une nouvelle opération à son chirurgien qui l’a éconduite, prétextant que sa reprise de poids venait d’elle.
De même, parler de son délire semble la nourrir et renforcer la persécution. J’ai l’idée de l’orienter vers un CMP. Je lui indique que le nombre limité de séances au CPCT risque de ne pas lui convenir. De plus, j’ai remarqué qu’elle venait pour me parler de tout le malheur que les autres lui causaient. Or, la psychanalyse, c’est d’essayer de comprendre comment soi-même on est impliqué dans ce qui nous arrive. Si elle reprend du poids, peut-être cela lui sert-il à quelque chose et il s’agirait de savoir à quoi. Souhaite-t-elle poursuivre au CPCT ou plutôt aller vers un CMP ?
La séance suivante, Mme T. me confie qu’elle s’était d’abord adressée à un CMP où on l’avait mise « dans la case de celle qui a des problèmes conflictuels sans [l]’écouter véritablement ». Et elle veut continuer au CPCT.
Comment expliquer son changement d’attitude ? Est-ce d’avoir mis le choix de son côté plutôt qu’elle ne le subisse comme imposé par quelqu’un d’autre ? Est-ce de lui avoir signifié que je ne pouvais peut-être pas l’aider avec ma méthode, plaçant ainsi le moins du côté du dispositif ? Est-ce d’avoir évoqué que sa reprise de poids avait peut-être une fonction ?
Ma proposition a en tout cas fonctionné comme une autorisation à prendre la parole, je l’ai invitée à parler d’elle là où elle me dira ensuite qu’elle n’était jamais autorisée à parler de sa souffrance à la maison.
À partir de là, la tonalité des entretiens va changer.
Mme T. a renoncé à se faire réopérer. Ce serait, dit-elle, inverser les effets et les causes. Elle aborde les points plus douloureux de son enfance. Elle s’est toujours considérée comme une merde et s’écrasait tout le temps face à un père caractériel. Ses parents ne respectaient pas son intimité. Tant qu’elle avait de la graisse, les agressions venaient s’amortir dedans, cela faisait comme un sas de sécurité. Maintenant, les choses l’agressent directement.
Mme T. fait de sa prise de poids un symptôme qu’elle interprète comme un sas pour amortir les agressions. Ne voulant plus se faire écraser, elle s’attache à construire au CPCT un nouveau rempart contre la parole blessante de l’Autre, un sas qui ne fasse pas l’impasse sur sa propre parole.