L’Hebdo-Blog va dédier une série de textes au film remarquable et bouleversant, Le labyrinthe du silence, premier long métrage de Giulio Ricciarelli. Ce film sort dans les salles, en France, précisément en même temps que s’ouvre en Allemagne le très controversé procès d’Oskar Gröning, âgé de 93 ans, ancien nazi, le «comptable d’Auschwitz ».
Nathalie Georges-Lambrichs nous conduit à l’intérieur du film où le labyrinthe singulier que parcourt en 1958 le procureur du procès de Francfort fera résonner une variation de silences à l’infini témoignant du crime oublié.
Le labyrinthe du silence se compose d’un nombre infini de labyrinthes, qui eux-mêmes font varier des silences à l’infini ; donc, le labyrinthe du silence n’existe pas, et c’est cette chance, aux déclinaisons indénombrables, qu’il s’agit de saisir.
Le procureur frais émoulu qui prend son premier poste en 1958 au tribunal de Francfort a commencé à frayer son labyrinthe, avec ses ramifications sociales, amicales, familiales. Non, ce n’est pas une cure analytique, mais ce sont des rouages qui forment des nouages, ces rhizomes recommandés en grande solitude par Gilles Deleuze, rhizomes auxquels nul ne se tient, mais qui irriguent la solitude de chaque un.
L’Allemagne, alors de l’Ouest, allait sous peu sceller avec De Gaulle et Adenauer une nouvelle alliance. Elle s’était reconstruite dans un silence de plomb, et c’est ce silence qui s’est accumulé dans le moindre de ses bâtiments, de la plus modeste à la plus luxueuse de ses maisons. Pas un qui, dans le labyrinthe, ressemble à quiconque. Mais voilà soudain, que le désir d’un seul sonne la vue, et qu’il s’agit de se regarder soi, dans l’œil de l’autre qui, au nom d’un Autre dont n’apparaît que la face de lumière, entend faire parler les survivants des crimes restés impunis.
Son labyrinthe à lui qui va mener l’action sous l’œil protecteur d’un aîné bienveillant, va consister à consentir aux zones d’ombres étendues sur chacun qui a, à ces atrocités, collaboré, et dont la responsabilité va demeurer, quels que soient les soupçons ou les certitudes mêmes quant aux exactions qu’il aurait commises, dans l’empire de son propre jugement.
Si action de justice il y a, c’est que l’idéal de la démocratie exige que la démocratie se fraye un chemin dans le labyrinthe qui n’existe pas ; qu’elle y fasse valoir l’excellence de sa procédure, la solennité de son décorum, pour que le Verbe puisse être entendu dans sa majesté, par la bouche de ceux qui ne sont plus tant, ici des victimes ou des bourreaux, que des témoins. Et s’ils portent témoignage, c’est de ceci, que chaque un est un, dissemblable, insondable, extra-ordinaire, et que le crime aura consisté à oublier ce degré zéro de la valeur fondamentale, sans lequel il ne peut y avoir quelque un.
N’est-ce pas ce socle, au ras du sol qu’une psychanalyse vous laisse, sur sa fin ?