Pierre, 26 ans, vient dans l’urgence, car sa mère vient de décéder. Il savait qu’elle allait mourir et attendait sa mort « pour être libéré ». Or il ne se sent pas libéré du tout. Elle est encore plus présente. Sans transition, il me fait part d’un événement important. Il y a quatre ans, lors d’un stage de deltaplane, il a fait une mauvaise chute, et s’est retrouvé à l’hôpital. Étrangement, bien qu’il ne croit pas aux « rêves prémonitoires », la veille, il avait rêvé qu’il tombait. Sa mère lui avait alors dit : « Tu es responsable de cette chute, puni parce que tu as volé. » Je lui fais observer que le mot « vol » est équivoque. Il n’y avait jamais pensé. Que Pierre récuse l’accusation maternelle – il estime même « avoir fait des bêtises à cause de [ses] parents » – ne l’empêche pas d’avoir pris son énoncé à la lettre. Sa demande est d’y voir plus clair par rapport à sa mère et à sa succession.
La relation à son père, elle, se serait dégradée au décès du grand-père paternel, décès qu’il ne sait pas situer dans le temps (et qui est sans doute un moment de déclenchement). Le père lui aurait dit : « Tu dois venir à l’enterrement sinon tu dégages. » Pierre a très mal pris cette injonction. Ce qui le trouble, c’est la succession du grand-père qui lui fait anticiper la mort du père, alors même qu’il est très préoccupé par la succession de sa mère. Lui-même tient beaucoup à laisser une succession, mais ne supporte pas l’idée d’être père. Circonscrite à l’héritage des biens matériels, la « succession » vient pallier l’impossibilité d’assumer un héritage et une filiation symboliques ; mais cette question cruciale le laisse profondément perplexe, à défaut de trame symbolique qui la légitimerait. Pierre doit alors se défendre contre l’idée qu’il est un voleur, un usurpateur (parmi les « bêtises » commises à l’adolescence, il y avait la falsification de chèques avec usage d’une fausse pièce d’identité).
Dans le traitement, l’analyse de ses nombreux rêves va faire office d’invention pour border ce réel hors-sens. Ainsi se retrouve-t-il pendu par les mains, offrant son corps à voir de manière obscène. « C’est une position christique ! », dis-je. Il se saisit de cette intervention. Il est le fils unique, pas un voleur. Le fils sacrifié devient héros.
À la douzième séance, il amène un dernier rêve : il se trouve dans la maison de son enfance, avec ses parents ; il est sur le balcon – là, où, enfant, il se mettait debout, à l’abri de leur regard (ses parents lui interdisaient cet endroit trop dangereux où il risquait de tomber). Il dira ensuite avoir terminé son traitement et « réglé [son] problème de succession ». Avec ce rêve, une boucle semble s’être accomplie dans le traitement.
Pierre a résolu imaginairement, au moins temporairement, sa question, celle de la succession. Comme si, court-circuitant l’accusation d’être un « voleur », il se rebranchait sur l’autre sens du mot « vol ».