Rendez-vous du CPCT du 5 juin 2015
Traumatisme et après-coup
Le cas d’Amélie déroule trois temps, selon le paradigme classique du cas « Emma »[1] de Freud : l’événement, subi dans la prime enfance, ne devient traumatique qu’après-coup, quand la puberté, érotisant la scène qui ne l’était pas d’abord, lui confère sa charge traumatique ; le temps 3 est celui de l’émergence du symptôme. Pour Amélie, la rencontre avec le sexuel a pris la forme d’attouchements : « À sept ans, j’ai subi l’inceste de la part de mon grand-père [maternel]. C’était une trahison : il m’aimait. » C’est la trahison qu’elle met en avant, non le sexuel. Le souvenir est refoulé.
À treize ans, ce sont les mots de l’Autre qui font émerger la dimension traumatique : « On devait parler de nos premiers flirts avec une copine. C’est à partir de sa réaction que j’ai su que c’était grave. Je n’ai rien dit. » Le traitement du traumatisme commence aussitôt : ce qui était refoulé change de statut et devient secret. « J’ai attendu l’âge de vingt-trois ans pour en parler à mes parents. Ça a été un deuxième traumatisme : ils ne m’ont pas crue. » Elle se met alors à alerter ses amies sur le comportement suspect des adultes à l’égard de leurs enfants, évoque volontiers l’épisode incestueux sur les forums de discussion et les réseaux sociaux. À ce stade, le CPCT fait partie de la série, il faut accuser réception…
Émergence du symptôme
« Je ne vous ai pas parlé de ce qui m’a poussée à vous appeler : un problème d’alcool. Avec l’alcool, des choses que je n’exprime pas dans mon état normal sont dites. » Il s’agit de localiser sa jouissance dans le traitement : « Ces choses qui ne peuvent pas sortir habituellement, ça s’appelle l’inconscient. Une autre manière d’y accéder, c’est le travail que vous faites ici. » Le CPCT devient le lieu où sa parole compte (sa séance est maintenue pendant son déménagement), elle met sa mise, commence à rêver et à associer.
Amélie évoque alors un deuxième grand-père maternel, mort d’une cirrhose quand sa mère avait cinq ans. Le grand-père pédophile est donc le beau-père de sa mère. « On nous l’a caché. J’ai fait des recherches dans les archives. » Ce travail de symbolisation vient répondre au secret dans la filiation entretenu par la mère. Elle l’inscrit dans son corps : « J’ai lu un livre qui s’appelle Le dernier verre[2]. J’ai appris que l’alcool peut être héréditaire, que biologiquement, j’ai cette fragilité. Avant, j’étais une victime. » Surgit alors un élément déterminant : « Le grand-père alcoolique avait mon âge quand il est mort. » La levée immédiate de la séance, qui la laisse sidérée, produira l’abandon radical des alcoolisations.
La démarche analytique, par la construction qu’elle permet, réfute l’idée d’un destin de victime gravé dans le marbre. Il y a eu, certes, une mauvaise rencontre et puis il y a ce que le sujet en a fait : un symptôme qui, lui, permet une élaboration.
[1] Freud S., « Esquisse d’une psychologie scientifique », La naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1991, p. 364 à 366.
[2] Ameisen O., Le dernier verre, Paris, Denoël, 2008.