Les ateliers « Chemin de vie1 »sont des ateliers d’écriture individuels proposés aux collégiens dits absentéistes ou au bord de l’exclusion. Nous nous inspirons de ce que Freud nous rappelle à propos de l’institution scolaire : « L’école ne doit jamais oublier qu’elle a affaire à des individus encore immatures, auxquels ne peut être dénié le droit de s’attarder dans certains stades, même fâcheux, de développement. Elle ne doit pas revendiquer pour son compte l’inexorabilité de la vie, elle ne doit pas vouloir être plus qu’un jeu de vie.2 »
L’atelier vise ainsi à introduire dans le temps scolaire un espace qui accorde à ces collégiens « le droit de s’attarder ». Chaque rencontre avec l’intervenant se déroule sur une heure de cours, dans une classe. Il y a trois rencontres espacées d’une semaine.
Premier temps : l’intervenant prélève un signifiant qui se répète dans le discours du collégien ; « harcelée », disait-elle. Deuxième temps : il s’agit, à partir de quelques propositions d’écriture (faire un ping pong de mots, écrire un acrostiche), de travailler le signifiant prélevé. Lors de la troisième rencontre, surgira, ou pas, la production d’un objet, un dessin, une boîte, une chanson, un jeu, que le collégien pourra emporter… Ce qui est visé, c’est de permettre à chacun de ces jeunes, reçus un par un, de jouer avec les mots. Découper les mots, les décoller du sens, ne pas interpréter.
« Aujourd’hui, j’ai beaucoup ri », dit untel, alors qu’il s’était d’abord présenté sur le mode du refus avant de déplier sa plainte, en disant : « personne ne m’écoute ! » L’intervenante apporte alors de grandes feuilles de papier de couleur et commence à y inscrire quelques-uns de ses mots. Surpris, ce jeune garçon se déloge de son refus initial et se met à écrire. Ce qui lui permettra de trouver dans l’atelier un espace où se loger.
L’intervenant se fait docile à la rencontre, non sans provoquer surprise et jubilation. « Il faut que je mette un déterminant avant le mot », lance un autre jeune. Entendu ! Jouons avec ce déterminant qui peut faire point d’appui dans la langue. Un déterminant, ça lie et relie. L’emploi de ce terme est une trouvaille de ce garçon.
« Harcelée », c’est ce dont se plaint Julie dès son arrivée. L’intervenante lui propose alors, à partir de chacune des lettres de ce mot, d’écrire des mots nouveaux. Au troisième temps d’atelier, cette jeune fille fera d’un grand « NON » rouge son objet sur une feuille. Julie est passée de harcelée au non.
« Je suis bavard », ainsi se présente ce jeune engoncé dans son manteau, alors qu’en fait il ne parle pas. L’intervenante recouvre tout un mur de papier et commence à écrire des mots, tout en les prononçant. Le jeune homme se met alors en mouvement, enlève son manteau et, à chaque mot qu’il inscrit sur ce mur de papier, trace une encoche. Surprise pour lui et pour l’intervenante. Énigme certes, mais relance d’un désir.
Piquer la jouissance par les mots, faire sonner le langage, faire bouger la langue de l’autre, la langue de l’école, peut décoller d’une certaine position de refus, production d’un petit dire que oui3. Dans la brièveté de l’atelier « Chemin de Vie », nous introduisons un écart entre l’idéal du pour tous et la singularité de chacun. L’orientation de la psychanalyse fait boussole précieuse pour trouer, l’espace de trois rencontres, le lieu de l’école.
Sonia Pent
[1] L’atelier « Chemin de Vie » proposé à des collégiens est une invention de l’association parADOxes.
[2] Freud S., « Pour introduire la discussion sur le suicide », Résultats, idées, problèmes-I, Paris, PUF, 1984, p. 132.
[3] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. La question de Madrid », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 27 mars 1991, inédit.