Hebdo Blog : La psychose ordinaire est-elle une catégorie que vous utilisez dans votre approche clinique au CPCT ?
Geneviève Cloutour-Monribot : C’est effectivement une notion qui a un tel succès, si l’on peut dire, que l’écueil à éviter était celui de voir de la psychose ordinaire partout et d’en faire un pseudo diagnostic ou un concept peu élaboré, faute d’en classifier très précisément les coordonnées dans chaque cas.
Donc : comment utiliser cette catégorie, avec l’immense ouverture qu’elle a pu apporter ?
Ce qui est intéressant dans l’expérience du CPCT Adolescents, c’est justement de repérer – au-delà du grand désordre produit par la puberté et dont les manifestations sont variables – ces petits indices discrets d’un autre désordre et d’une toute autre déconnection.
Et en cela, tous les travaux dont nous disposons sur la psychose ordinaire sont d’un grand apport.
Par exemple, si certains adolescents usent du signifiant « bizarre » pour tenter de nommer leur malaise et leur perte de repères, c’est à distinguer de la bizarrerie d’un petit phénomène élémentaire ou d’un indice de langage d’où peut se déduire la psychose.
La psychose ordinaire contribue alors à une plus grande finesse de l’approche clinique.
H. B. : Eric Laurent écrivait dans un article paru dans Mental n°29 que la psychose ordinaire était « le nom donné à un programme de travail, à une enquête, une orientation… [1]». Quel trajet parcouru, en effet, depuis la forclusion du Nom-du-Père, comme seul repère dans l’approche de la psychose ! Diriez-vous que le CPCT ado participe à cette recherche et comment ?
G. C.-M. : La rencontre avec des adolescents – quand elle se produit – se fait sur fond de perte ou de fragilisation des appuis antérieurement établis, dans leur incompatibilité avec la chose sexuelle. Et les moyens dont dispose alors le sujet, et sur lesquels nous enquêtons, orientent non seulement la pertinence du traitement, suite aux consultations, mais aussi le repérage, en cours de traitement, des diverses formes de stabilisation, éphémères ou pas, et plus ou moins coûteuses pour maintenir un lien social.
Le dispositif CPCT se rapproche donc d’un laboratoire de recherche sur la psychose ordinaire au moins à deux niveaux : à la fois pour différencier les effets de forclusion propres à la psychose des inventions langagières des adolescents et des maniements de leur image, et à la fois pour rendre compte de la multiplicité extraordinaire des formes de nomination, véritable objection aux refuges identitaires.
H. B. : Comment entendez-vous les mots de J.-A. Miller dans le Quarto n°94 « Effets retour sur la psychose ordinaire » : la psychose ordinaire est une catégorie épistémique ?
G. C.-M. : Effectivement, Jacques-Alain Miller indique que la psychose ordinaire relève davantage d’une catégorie épidémique qu’objective et c’est en cela, dit-il, qu’elle intéresse notre savoir. Mais elle n’est pas sans lien non plus avec les catégories cliniques des formes de psychoses que sont la schizophrénie et la paranoïa. Et pourquoi pas lui donner aussi une dimension politique, dans la mesure où l’ouverture apportée par cette catégorie répond aux nouveaux malaises contemporains.
Cette contemporanéité contribue à un élan épistémique, comme chaque fois que les choses ne sont plus comme avant, et que se présentent de nouveaux outils de travail tels que ceux fournis par la notion de psychose ordinaire.
[1] Laurent E., « La psychose ou la croyance radicale au symptôme », Mental °29, p. 72.