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Parlêtremère

Que dire de ces dernières Journées de l’École de la Cause freudienne? Qu’elles ont été une vraie réussite ? En effet, ça a été le cas. La présence de plus de trois mille personnes inscrites en témoigne. Qu’elles ont été stimulantes ? Oui, ça va sans dire. Traiter un argument, qui aurait pu se loger dans le déjà-tout-dit analytique sur la bonne ou mauvaise mère ou bien plonger dans la platitude de la pensée passe-partout béatifiant la mère à tout prix, a montré quelles ressources a su mettre en œuvre une vaste équipe qui avait son point pivot dans une femme discrète mais décidée, je parle de Christiane Alberti.

Je ne ferai pas le tour de ces Journées : primo, parce que c’est impossible. Impossible de suivre toutes les variations qui ont été déclinées dans les 264 interventions au programme dans la journée du samedi. Pourtant, les douze que j’ai pu entendre m’ont appris beaucoup sur la mère, la femme dans la mère, la mère en tant que femme, sur leur rapport à l’homme et aux enfants. Deuxièmement parce que, pour le dimanche, en faire le tour demanderait bien plus que ces petit mots. Je ne parle pas uniquement du large enseignement que nous ont apporté nos Analystes de l’École dans leurs interventions, mais aussi de ces séquences de théâtre et de cinéma qui ont révélé comment on peut animer un public pas toujours très averti, et proposer des thèmes qui arrivent à toucher et à enseigner aussi les analystes eux-mêmes.

Je regrette, pourtant, de n’avoir eu le bonheur d’entendre, dans ces Journées, la voix de Jacques-Alain Miller, cette voix si importante pour le chemin à suivre dans notre champ, qui est le Champ freudien.

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La fête des mères

Fourmillement : flash codes, pas ceux des trois mille qui se hâtent d’en être – de la party – pleine de surprises, celles des 44es Journées : « Être mère – Fantasmes de maternité en psychanalyse ». Non, nous n’entrions pas dans Motherland, mais nous allions entendre qu’être mère n’a de syntagmatique que le nom.

Étonnement : éclats de ce « segment holophrastique » selon les mots de Patricia Bosquin-Caroz, réfractés par des écritures, mieux, par des fragments d’écritures – psychanalyses-littératures-cinémas-théâtres –, incises palpitantes toujours au pluriel.

Allégresse : mère et maternité sont choses de finesse, ça se raconte, ça se fictionnalise, ça s’écrit car « c’est une par une qu’elles s’exposent seules dans leur genre » dit Christiane Alberti. Bouts de langues et corps de mères ainsi que mille et une autres qui bruissent ce samedi-là dans les salles et amphithéâtres. Vouloir être, ici : Entre refus inconscient et consentement, et là : Mère en fille ; tout contre et très contre, mais pourquoi se priver pour autant d’entendre les analystes de Ciel ! Se pourrait-il que les mères soient des femmes !

Enthousiasmant, avec une dose d’en theos sans doute et une pointe de transport pour la grâce du cinéma de Christophe Honoré qui développa pour nous un drôle de répartitoire d’actrices en mère sans oublier l’intensité de la mise en scène de la déchirure mise à nu des mères de Madame Klein ou de La Mouette.

Réjouissant, l’idiolecte des ae, mots tour à tour savoureux, émouvants, comiques, ceux d’un « Kinder en surprise », d’un « Rouge Baiser » ou d’une « mère agitée », touches précieuses d’un témoignage sur l’être mère qui en détachent les ressorts pour faire tinter le recel de jouissance.

Bref, ces journées hors-normes ont provoqué ce que Jean-Claude Ameisen qualifierait volontiers de discontinuité, discontinuité qui dynamite la routine d’un « je n’en veux rien savoir » de l’être mère, de la maternité et relance le désir pour la psychanalyse.

Oui, c’était une fête… La fête des mères !

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Une fille et la femme qu’est sa mère

« Être mère – Fantasmes de maternité en psychanalyse ». Le titre de ces 44es Journées de l’ECF a convoqué plus de 3100 personnes. Chacun des inscrits s’est rendu au Palais des Congrès voulant en savoir un petit peu plus de la façon, des façons, dont les analystes d’orientation lacanienne traitent cette question si vaste et si fondamentale. En effet, « l’être mère » recouvre tout un registre qui, d’une façon ou d’une autre, touche au plus intime l’ensemble des parlêtres.

Le soin, l’inventivité et la rigueur avec lesquels cet événement a été préparé par Christiane Alberti et son équipe ont abouti à une véritable performance psychanalytique. Deux jours durant, nous avons assisté à un joyeux feu d’artifice faisant éclater des bouts de gai savoir, des rencontres inédites alliant des disciplines aussi diverses qu’indispensables toutes orientées vers le désir d’attraper « l’être mère » au XXIe siècle.

Du samedi, je retiens tout particulièrement un point issu de la discussion lors de la séquence intitulée « Le programme maternel ». Il s’agit du cas présenté par Chicca Loro. Une femme, ayant échoué à être une « mère parfaite » lui adresse cette plainte : « comment aurais-je pu être une bonne mère alors que la mienne ne m’a pas donné d’amour ». Un classique pourrions-nous dire ! Mais non, rien de tel. Car la psychanalyse nous oriente à opérer en faisant une place pour un au-delà de la demande. La réponse de l’analyste permettra à cette femme d’explorer les plis et les contours non seulement de sa relation à sa mère depuis l’enfance, mais surtout de sa position de jouissance à l’égard de celle-ci. Ainsi, lorsqu’elle en vient aux avatars de sa vie amoureuse, il lui est possible d’entrevoir le lien existant entre son choix de partenaires et la façon dont ils répondent à des points précis, issus très exactement des idées qu’elle se faisait, enfant, quant à l’Autre jouissance de sa propre mère. Son partenaire dans la vie adulte est celui qui lui donne l’occasion de prolonger la position qu’elle a prise vis-à-vis de la femme qu’est sa mère. Le ravage mère-fille fondé donc, non pas sur la demande d’amour d’une fille à sa mère, mais plutôt sur celle qu’une fille adresse à la femme qu’est sa mère.

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Reflections from a Londoner eye on J44

La voulez-vous lire en anglais alors qu’elle nous arrive, elle tombe, direct de Londres ce lundi 24 novembre juste avant le dernier cri des rotatives qui vous envoient ce dixième numéro de l’Hebdo-Blog?

À vous de choisir ! Enjoy !

Although I still cannot quite understand French as it is spoken, and I have to struggle to catch hold of the words, it still seems more valuable to attend these Journées than to stay at home. It is the kind of conference I have always wanted to attend – one that shows a community at work over time, revealing how the theoretical questions not only meet the practice one by one, but also how it informs the way the community organises itself through the various media networks, and again to key aspects of the culture. Last time (Trauma) I was really surprised to see psychoanalysts in conversation with the emergency services, and was very moved by exchange between the two. This time I was thrilled to see the performances of three extracts from the theatre, especially Mrs Klein – the play by Nicholas Wright – which quite by chance I had tickets for the very next week in London. The experience of being amongst the throng of people pressing to get into the auditorium to watch the three theatrical pieces on Sunday afternoon was enlivening and joyous. The whole event encourages me to participate more, to join in.

 

Bien que je ne puisse pas toujours tout à fait comprendre le français tel qu'il est parlé, et si j’ai quelque difficulté à attraper les mots, il semble bien plus précieux pour moi d’assister à ces Journées que de rester à la maison !

Ces Journées incarnent bien le genre de « Conférences », auxquelles j’ai toujours voulu assister, qui montrent une communauté au travail au fil du temps, révélant comment les questions théoriques, non seulement répondent à la pratique du un par un, mais aussi comment elles nous enseignent sur la façon dont les communautés se sont organisées à travers les différents réseaux de médias. La dernière fois (Journées sur le Trauma) j’ai été vraiment surprise d’entendre les psychanalystes en conversation avec les services d'urgence, et j’ai été très touchée par ces échanges.

Cette fois, j’ai été ravie de voir les performances de trois extraits du théâtre, en particulier Mme Klein - la pièce de Nicholas Wright - alors que, tout à fait par hasard j’avais des billets pour la semaine suivante à Londres !

L'expérience d'être parmi la foule de personnes se pressant pour entrer dans l'auditorium pour voir les trois pièces de théâtre le dimanche après-midi a été vivifiante et joyeuse. Le tout m’encourage à participer davantage, à m’y joindre, à cette expérience !

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Nous sommes les bébés du futur

Nos 44es Journées viennent de s'achever sur un air nouveau. On a trouvé ensemble, un par un et une par une, des idées et des approches qui nous ont transformés encore une fois, dans l'ouvrage, dans la joie et dans notre désir envers l'École.

Il fallait pour cette gestation, ce signifiant si beau : ÊTRE MÈRE. Comment aurait-t-il pu en être autrement ? Tout, autour, appelait à la naissance ! Depuis les crocodiles dévorés avec audace comme acte inaugural, les magnifiques séquences de samedi, toutes aussi délicieuses les unes que les autres et si bien orchestrées, jusqu'à ces magnifiques scènes de théâtre du dimanche où Mélanie Klein, mère, nous a bouleversés par sa férocité, Mariana Otero troublés par sa sensibilité envers l'absence et où Christophe Honoré avec son innocence, a réussi même à nous fait rire.

Il faut dire que deux choses m'ont le plus marquée : le rouge à lèvres indélébile de Michèle Elbaz et l'étrange machine à bébés. J'ai vu beaucoup de nos participants s'approcher, avec un air bizarre et méfiant, de cette drôle de machine énigmatique. Les gens paraissaient un peu fascinés et terrifiés. Effet réussi.

Mais finalement, ne pourrions-nous pas dire, dans l'après coup, que ce sont 3100 bébés du futur qui, à la fin de ces Journées, sont nés ? Que la machine à fabriquer des bébés désirants dans chacun de nous n'est autre que la psychanalyse mise à l'épreuve, et en acte ?

Je suis sûre, après avoir entendu les uns et les autres parler et partager encore et encore l'impact produit par ces Journées, et l’effet qu’elles ont fait naître en chacun, que nous sommes tous les nouveaux bébés du futur, que quelque chose de nouveau est né en chacun de nous, et que longue vie aura ainsi la psychanalyse !

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En finir avec l’enfant comme objet a libéré

Être, d'abord, touché par un propos de Lacan qui fait énigme, nous en faisons bien souvent l'expérience.

Dans cette rubrique « Comment l'entendez- vous? », nous avons voulu que s'éclaire pour vous, pour nous, une forme usitée et complexe, insistante, qui résiste et qui nous est précieuse.

Nous demandons à nos collègues d'écrire, de façon vive et précise, comment ils s'en saisissent, quels usages ils en ont aujourd'hui. 

En finir avec l’enfant comme objet a libéré [1]

Eric Laurent le rappelait : « c’est à partir de l’enfant que se distribue la famille » contemporaine – mais de l’enfant comme « objet a libéré »[2]. Au-delà de l’idéal qu’il représente, l’enfant arrive dans le monde en place d’objet produit par le couple, pris dès sa naissance dans la jouissance de ses parents. C’est ce que Lacan a proposé de noter : objet a. L’enjeu pour l’enfant sera de passer d’une position d’objet à une position de sujet. Cela suppose d’avoir pris position.

La langue traduit cela : le bébé est d’abord objet d’amour, objet de soins. Si la mère peut exister comme femme, si elle désire ailleurs, cet « objet-enfant » divise la mère (il la divise entre mère et femme). Cette faille dans la mère est énigmatique, mais ouvre aussi un espace où il va pouvoir se loger comme sujet, s’éloigner de sa position d’objet et « modeler » son désir. Lorsque cet espace s’obture, l’enfant se trouve sans médiation, enfermé dans un rapport duel. Il devient objet de jouissance de la famille, pas seulement de la mère, mais de la famille et, au-delà, de la civilisation, note Éric Laurent.

Proposer à l’enfant de se réduire à l’objet dissout sa particularité. Il est invité à s’identifier à « ce petit bout » de « plus-value »[3] autour duquel vont s’organiser la famille et au-delà, l’école, le pays…[4]. Jacques-Alain Miller a donné à l’Institut de l’enfant plusieurs textes sensationnels à ce sujet[5].

Dans la clinique, il s’agit surtout de cerner la réponse de l’enfant : comment il se voue à incarner dans le réel l’enfant idéal de la mère, à lui servir de fétiche, ou à venir saturer son manque – ou bien s’il va inventer une réponse pour accéder au Je afin de compter pour Un séparé de l’Autre. Il peut trouver recours dans la médiation paternelle ou dans un symptôme qui se mettra en travers du collage mère-enfant, semant la zizanie, désorganisant la famille ou l’école : à partir d’un savoir inconscient, le symptôme de l’enfant se fait alors réponse du réel.

Dans tous les cas, « l’enjeu » c’est le « Je »[6]. C’est en cela que Lacan parle de « drame familial »[7]. En témoigne Kevin[8] : sous couvert du test de QI l’ayant déclaré « surdoué », signifiant auquel il s’est identifié, Kevin est devenu « l’objet transitionnel »[9] dont se complète le couple parental. Soumis à un programme d’activités contraignant, il n’a aucun espace de parole. Qu’il souffre d’hallucinations et dorme toujours dans le lit de ses parents à sept ans ne compte pas. L’enjeu du traitement a été de faire advenir la parole de Kevin malgré des séances faites en présence de ses parents, tant ces derniers se sentaient persécutés par la moindre séparation. Avec Kevin, je n’ai pu « en finir avec l’objet a »[10], mais faute de pouvoir le recevoir seul j’ai parié sur la coupure et son pouvoir d’introduire un peu de séparation là où le Un régnait.

Pour Capucine, « en finir avec l’objet a » a consisté à interroger son désir. Lorsqu’elle consulte à quinze ans, cette jeune fille hystérique se présente comme lisse, sage, tirée à quatre épingles. Elle se fait depuis l’enfance, tout comme son frère, docile à un père ayant mis ses enfants en place d’objets de son fantasme d’éducateur. C’est « une mission » et il a cessé de travailler pour que ses enfants réussissent à l’école. Lorsque le frère part faire ses études à l’étranger, Capucine vit un laisser-tomber qui la convoque comme sujet. Elle est en classe de Terminale, l’heure des choix d’orientation et le départ du frère ont ouvert une faille vertigineuse. Elle ne se reconnaît plus, crie en classe, fait des crises, rejette tout ce qu’elle aimait, copines comprises, et va jusqu’à arrêter le Conservatoire alors qu’elle se destine à une carrière. Son travail analytique la conduira à se laisser progressivement « ébouriffer » par une énonciation plus personnelle qui va la sortir du miroir, non sans quelques « drames familiaux », sa nouvelle indépendance suscitant cris et grincements de dents.

Ainsi, le « drame familial »[11] qui se noue à la croisée des chemins de l’enfant a la structure d’une métaphore. Lacan en parle comme d’« un éclair entre deux portes »[12] pour « montrer…ce qu’il en est »[13]. La famille a une « fonction métaphorique »[14] : c’est par une substitution qu’un enfant, identifié à l’objet plus-de-jouir, se fait objet dans le fantasme. Et c'est par une autre substitution qu’il va s’en extraire.

C’est toujours fugitivement, en un éclair, que le sujet subjective par quel renoncement il s’est fait ainsi objet condensateur de jouissance. L’éthique de la psychanalyste commande de le reconduire à cette jouissance ignorée, ce qui suppose un désir particularisé, mais aussi la vivacité de l’éclair pour saisir ce moment. C’est pourquoi Freud disait que l’analyste, comme le lion, ne bondit qu’une fois[15].

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 293. [2] Laurent É., « L’enfant, objet a libéré », La Lettre mensuelle, n°251, sept-oct 2006, p. 6-7. [3] Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D'un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, p. 29. [4] Laurent É., « L’enfant, objet a libéré », op. cit., p. 7. [5] Voir notamment Jacques-Alain Miller, « L’enfant et le savoir », Peurs d’enfants, Collection de la Petite Girafe, Navarin Editeur, Diffusion Volumen, 2011, p. 13-20 et « Interpréter l’enfant », Intervention à la deuxième Journée de l’Institut de l’Enfant (IE), Issy-les-Moulineaux, samedi 23 mars 2013 sur le thème de la Journée de l’IE de 2015, tous deux disponibles en ligne (octobre 2014) à l’adresse : http://www.lacan-universite.fr/category/i-e/orientation/ [6] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, op.cit., p. 293. [7] Ibid. [8] Les prénoms ont été modifiés. [9] Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 368. [10] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, op.cit., p. 293. [11] Ibid. [12] Ibid. [13] Ibid. [14] Ibid. [15] Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes, tome II, Paris, PUF, 1985, p. 234 : « Une fausse manœuvre est irréparable. Le proverbe, le lion ne bondit qu’une fois, a nécessairement raison. »

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Dans le vif d’une conférence d’Hélène Bonnaud : Nancy Huston, from the bad new to Bad Girl

La conférence tenue par Hélène Bonnaud, à Amiens, à propos de l’inconscient de l’enfant et l’analyste[1], a fait résonner pour nous que l’inconscient est fondé sur ceci, comme nous l’indique Lacan, « […] que dès l’origine il y a un rapport avec “ lalangue ”, qui mérite d’être appelée, à juste titre, maternelle parce que c’est par la mère que l’enfant – si je puis dire – la reçoit. Il ne l’apprend pas. »[2] L’enfant n’est pas issu d’une abstraction, c’est bien pourquoi la pente du sujet qui fait l’expérience de l’analyse, est de parler de sa maman et son papa. Lacan ajoute qu’il « a eu une histoire et une histoire qui se spécifie de cette particularité : ce n’est pas la même chose d’avoir eu sa maman et pas la maman du voisin, de même pour le papa. »[3]

La lecture du dernier ouvrage de Nancy Huston nous a mis au travail sur cette assertion articulée à cet autre dit de Lacan selon lequel « nous sommes les fils du discours »[4].

Huston nous fait entendre ce qu’a été pour elle, la rencontre de son corps vivant attrapé par le discours : « À compulser tous ces jolis débris, lettres, photos et souvenirs, qui flottent dans le liquide amniotique avec toi petite Dorrit, on ne peut qu’être frappé par le fait que ce sont des femmes qui te mettront en contact avec la littérature et la musique. »[5]

Bad Girl, classes de littérature, récit autobiographique de Nancy Huston nous enseigne sur ce qui a poussé la bad girl à écrire. Elle nous présente les rencontres qui ont marqué son parcours comme des « classes de littérature ». Enfant non-désirée, puis abandonnée par sa mère, elle a cherché à comprendre tout au long de son œuvre ce qui s’était passé ce fameux jour où sa mère est partie très loin de ses enfants. Elle nous livre ce qu’elle a mis plus d’un demi-siècle à saisir, à admettre : qu’elle avait été promise à la mort.

Si Lacan a pu soutenir les incidences sur le sujet du non-désir d’enfant, notons qu’il s’agit moins de l’enfant que du sujet, qui de n’avoir pas été admis dans la chaîne signifiante, veut alors en sortir, se trouvant ainsi corrélé au suicide[6]. Plus tard, a contrario, il soutiendra que « Désiré, ou pas – c’est du pareil au même, puisque c’est par le parlêtre ».[7] Nous articulerons cette proposition frappante avec ce qu’il avait auparavant affirmé : « nous sommes les fils du discours. » C’est ce dont nous parle Nancy Huston : « nous savons si peu, si peu sur le pourquoi de notre être-en-vie. »[8] Telle une brodeuse, Nancy Huston sait pourtant que nous interprétons toujours, nous tentons toujours de donner du sens là où il n’y en a pas.

C’est le parti pris de l’écriture qui étonne, elle s’adresse sous la forme vocative, au fœtus qu’elle a été pour parler d’elle, fœtus qu’elle a nommé Dorrit. Ainsi, les neuf mois de grossesse seront le temps de lui raconter le sujet qu’elle va devenir en parcourant les discours qui ont présidé à sa naissance, puis ce qu’elle aura pu en faire. La petite Dorrit[9] est le titre d’un roman de Dickens, qui consonne en anglais avec Horrid, abominable, évoquant l’horreur qu’a été pour sa mère la nouvelle de sa grossesse : « Tu t’accroches. S’accrocher, Dorrit, sera l’histoire de ta vie. »[10]

Elle dresse le portrait de ses aïeux, de la barjoterie familiale qui précéde la venue au monde de ses parents. L’histoire se déroule dans les années cinquante, dans l’ouest du Canada. Kenneth et Alison, ses parents sont alors encore jeunes étudiants, ont déjà un enfant qui souda peut-être malgré eux leur union, quand un second enfant est annoncé, c’est la mauvaise nouvelle.

Huston, retrace alors d’une manière tout à fait originale, le trajet qui s’est noué pour elle, sans le savoir, de la bad new à la bad girl à laquelle elle s’est identifiée. N. Huston répond aux commentaires qu’a pu susciter l’abandon maternel qu’elle avait déjà évoqué, oui, cela a été tragique et pour sa mère, et pour elle. Mais contre toute attente, c’est là où elle loge son être, devenir « une femme de lettres »[11]. Sa mère, face à l’ultimatum de son homme, choisira de quitter son foyer, en femme moderne, en avance sur son temps, ne se résolvant pas à être uniquement mère au foyer. Ce sera le début d’une correspondance suivie entre la mère et la fille, mais également l’invention de personnages peuplant l’imaginaire de l’enfant, Nancy Huston.

Huston saisit, par fragments, son usage de l’écriture telle une réponse à la mauvaise nouvelle qu’a été sa naissance pour sa mère. La généalogie est faite de mots, de signifiants, ce que H. Bonnaud met en pratique avec le cas de l’enfant mutique, diagnostiqué autiste. Qu’il ait eu la chance de rencontrer un analyste, lui a permis de mettre en circulation un signifiant, puis un autre, l’inscrivant dans la chaîne signifiante, lui rendant la parole. H. Bonnaud, avec le savoir-faire, qu’elle a su tirer de l’expérience de sa cure, de ses contrôles et de sa formation a su faire passer son savoir-y-faire avec le symptôme quand celui-ci entrave le sujet dans son rapport au désir.

* Huston N., Bad Girl. Classes de littérature, Arles, Actes Sud, 2014. [1] Bonnaud H., L’inconscient de l’enfant – Du symptôme au désir de savoir, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2013. Conférence, le 8 Octobre 2014, en ouverture du cycle de conférences à Amiens de l’ACF-CAPA. [2] Lacan J., Scilicet, n° 6/7, Paris, Seuil, 1976, « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines – Le symptôme », p. 47. [3] Lacan J., ibid., p. 45. [4] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, Paris, Seuil 2011, leçon du 21 juin 1972, p. 235. [5] Huston N., op. cit., p. 62. [6] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, leçon du 12 février 1958, p. 245. [7] Lacan J., Le Séminaire, livre XXVII, « Dissolution, le malentendu », Ornicar ?, n° 23, Paris, Navarin, leçon du 10 juin 1980. [8] Huston N., op. cit., p. 12. [9] Dickens C., La petite Dorrit, 1855-1857, Paris, Gallimard, 1970. [10] Huston N., ibid., p. 12. [11] Huston N., interview dans Le temps des écrivains, Magazine Littéraire de France Culture, octobre 2014 : http://www.franceculture.fr/oeuvre-bad-girl-de-nancy-huston

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Une photographe révélée

Un film récent, À la recherche de Vivian Maier[1], mi-documentaire mi-enquête et reconstitution, s’il n’a rien de remarquable en tant que film, nous parle d’une histoire et d’un personnage qui, eux, le sont indubitablement.

Cette histoire est celle de Vivan Maier, née en 1926 à New York et morte à Chicago en 2009. C’est donc d’une histoire du XXe siècle dont il s’agit, ce siècle qui fut aussi celui de l’expansion d’un art nouveau : la photographie. Car V. Maier est photographe. Enfin, à la fois elle l’a été et elle le devient seulement aujourd’hui, après sa disparition, parce que nous découvrons ses images. Elle n’avait jamais montré les quelque cent cinquante mille clichés pris inlassablement tout au long de sa vie.

Née d’une mère française, originaire de la vallée du Champsaur ayant émigré aux États-Unis, et d’un père américain qu’elle n’aura que peu connu, V. Maier travailla toute sa vie aux États-Unis en tant que nanny, s’occupant d’enfants dans des familles de New York puis de Chicago. Très tôt, elle commença à faire des photos, dans la rue, se promenant inlassablement avec un Rolleiflex, puis un Leica, autour du cou, saisissant les lieux, les personnages et les situations rencontrés dans la rue, dans le fil de cette Street photography qu’illustrèrent si bien les Eugene Atget, Robert Franck, Lisette Model ou Lee Friedlander.

C’est lors d’une vente aux enchères en 2007, alors qu’il cherchait des photos sur un quartier de Chicago, qu’un dénommé Jonh Maloof acquiert un lot de négatifs. Il n’y trouve pas ce qu’il cherchait mais se rend vite compte qu’il y a là une œuvre remarquable. Il cherche, questionne, enquête pour apprendre d’où viennent ces photos, rachète d’autres lots au fil de ses découvertes et finit par identifier l’auteur de ces images : V. Maier. Alors que son nom se révèle enfin, V. Maier meurt à Chicago. John Maloof prend alors le parti de faire découvrir l’œuvre de cette photographe méconnue. L’aurait-elle souhaité, elle qui cultiva un goût du secret certain et dont l’existence ne laisse en rien penser qu’elle aurait souhaité la notoriété qui advient aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. Solitaire, peu conventionnelle, brusque, ne cherchant pas à se rendre aimable, si toutes les familles dans lesquelles elle a vécu n’en gardent pas un bon souvenir, elle A marqué nombre d’entre elles par sa personnalité et son style hors norme. Ce sont trois enfants dont elle s’était occupée qui, devenus adultes, gardèrent le contact et subvinrent à sa survie jusqu’à sa mort. Les dernières années, quasi clochardisée bien qu’ayant encore un toit grâce à leur aide financière, elle continuait inlassablement à prendre des photos dont les négatifs s’empilaient sans qu’elle ait jamais pu en voir les tirages.

La vie de V. Maier a donc été inséparable de son rapport à l’acte photographique, sans cesse renouvelé, à chaque déclenchement de l’appareil, bien plus qu’à la photo comme image révélée à montrer à d’autres. Dans cette vie passée à appuyer sur le déclencheur de l’appareil photo, de la grammaire réversible de la pulsion, voir/être vu, V. Maier semble n’avoir gardé que le premier terme et s’être faite elle-même regard. Montrer ses photos, ce serait en revanche être regardée, ce dont elle s’est bien plutôt le plus souvent protégée. Les tirages – quand ses moyens lui permettaient d’en faire – et les rouleaux de négatifs s’entassaient dans de nombreuses boîtes, accompagnés d’une quantité impressionnante de coupures de journaux et de prospectus divers, dont elle ne se séparait jamais au fil de ses déménagements. Elle choisissait de travailler dans des familles ayant à lui offrir des lieux de stockage suffisants pour ces bagages devenus fort volumineux au fil des années, jusqu’à la nécessité de louer des garde-meubles pour les y entreposer.

Mais le choix des sujets, les innovations de cadrage, l’attention à la composition n’en sont pas moins présents dans chacune de ses photographies, témoignant d’un regard aiguisé sur la vie américaine au quotidien.

Parmi les clichés[2], beaucoup d’auto-portraits jouant essentiellement de jeux d’ombres ou de reflets, de flous ou de démultiplication de l’image, entre miroirs, éclairs de soleil, contrastes. Par ce biais, elle se réintroduit dans l’image qu’elle compose et dont elle était au départ la spectatrice exclue. V. Maier, hors champ, se retrouve alors dans le champ. L’invention esthétique y est à l’œuvre, l’invention sinthomatique sans doute également, et crée presque à chaque fois une image fulgurante, qui nous regarde encore et témoigne d’une époque.

[1] Maloof J. et Siskel, À la recherche de Vivian Maier (Finding Vivian Maier), 2013. [2] Pour voir les photos de V. Maier : site web : http://www.vivianmaier.com/

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