Depuis le 16 mars, les conditions dans lesquelles j’exerce se sont modifiées. Quels en ont été les effets dans le cadre d’une pratique de la parole qui suppose la possibilité que les corps des patients puissent circuler jusqu’au lieu où je les accueille ? La surprise est venue des effets de discours. Il y a tout d’abord eu un lapsus : En répondant à un patient qui me demandait un rendez-vous téléphonique, je lui réponds par sms : « confirme l’émoi », au lieu de « confirmez-le-moi ». « Émoi », « e-moi », c’est le signifiant que me prête mon inconscient pour me mettre au travail quant à ce dont il est peut-être nécessaire de m’arracher concernant les premiers effets du réel en jeu dans cette crise. M’arracher du « émoi ou e-moi » afin de repérer la position de chacun de ceux pour qui je pourrais occuper la place d’un point de contact avec la vie, voire, pour certains, d’un point d’adresse. En effet, dans l’institution je suis devenue, pour une période : « personne contact ». Auprès de l’ARS [1] ce signifiant désigne le salarié à qui est accordé le confinement à cause de son lien récent avec des patients infectés.
En attendant, je suis derrière et devant mon écran. Je me rends compte qu’une des façons de porter ou « supporter » cette désignation se marque dans l’après-coup, quand je m’aperçois que j’ai occupé la place d’« élément contact » auprès de certains jeunes pour qui l’effet d’un appel aura été de faire résonner, en eux, le jaillissement de la vie. Ainsi Alexis, jeune homme en difficulté quotidienne dans l’institution pour établir un lien avec les autres, s’exclame au début de l’échange : « Bonjour, je protège tout le monde dans mon cœur ! ». Puis, avant de raccrocher, après m’avoir beaucoup parlé de sa lecture de Star Wars : « Au revoir Liliana… mon héros, à jeudi prochain ». « Le héros » signifiant latent derrière sa position du départ, celle de protéger le monde, indique sa position subjective via le transfert. Repérons qu’à la fin de l’échange, le signifiant « héros » prélevé dans Star Wars, lui permet de localiser celui-ci temporairement chez l’autre. C’est lors du deuxième appel que je mesure l’effet de cette opération langagière : Alexis me dit avoir modifié la lettre de la chanson « allo papa, allo » et chante au téléphone ainsi :
« ah, ah…
où es-tu ?… allô ?…
tu ne réponds pas…
j’ai besoin de toi…
allô quand je m’ennuie…
allô, allô »
N’est-ce pas qu’il tente ainsi d’appareiller l’absence de l’autre par la voix qui manque, inédite dans sa modalité du lien social ? Cette petite ouverture par la voix qui se fait tantôt présente tantôt absente et qui favorise, chez Alexis, une prise de parole, c’est l’un des effets inattendus du confinement.
[1] ARS : Agence Régionale de Santé.