C’est une première ! Danseuse, musicienne, comédienne et auteure, Caroline de Diesbach affronte un impossible et relève un sacré défi : montrer sur la scène d’un théâtre une analyse lacanienne, à partir de sa propre expérience. S’inspirant de son analyse, faite avec « l’un d’entre nous », elle est pour deux mois à Paris au théâtre de la Manufacture des Abbesses, après le off du Festival d’Avignon où son spectacle fut fort remarqué.
Courez-y ! Car ce spectacle ne vous quittera plus. Malgré son titre, la pièce ne questionne pas vraiment le gender (le genre), mais dévoile « ce qui normalement ne se montre pas ». Séance après séance, elle met en dialogues le trajet intime et singulier d’une analysante (Caroline de Diesbach) engagée avec son analyste (Isabelle Gomez) dans un travail de parole pour s’extraire d’une souffrance dont elle ignore la cause, et traiter ce qui dans sa vie l’empêchait de vivre, de travailler, d’aimer.
L’imaginaire « Nouveau Genre »
Son spectacle confirme l’existence d’une poignée d’artistes et collègues, analysés avec l’apport du dernier enseignement de Lacan, dont les cures débouchent sur un rapport à l’imaginaire « Nouveau Genre », remanié, lucide, « nettoyé » du pathos – et assumé. Avertis que la vérité ne peut que se « mi-dire »[1] et qu’elle a « structure de fiction »[2], ils font de l’imaginaire (qu’ils tiennent bride serrée), l’allié précieux du bien-dire pour toucher au réel par leur acte de création.
Caroline de Diesbach le démontre, avec ce texte pas-tout – ingénieusement ponctué de scansions et de fantaisies musicales, langagières et visuelles –, dont l’écho et les résonnances vous accompagneront longtemps après la représentation.
Loin d’être réservé aux seuls initiés, il s’adresse à tout public, même si les lacaniens les plus chevronnés ne manqueront pas de s’amuser à chercher qui a bien pu servir de modèle au personnage joué par la comédienne Isabelle Gomez, plus vraie que nature en analyste lacanienne pratiquant la séance courte…
Au point qu’à la sortie, j’ai pu entendre des spectateurs débattant avec animation pour décider si l’analyste qui donne la réplique à Caroline de Diesbach sur scène était sa « vraie » analyste ou une comédienne… avant de revenir sur terre, pour saluer la performance des deux artistes !
Nouveau(x) Genre(s)
Les Dimanches à 20H et
Les Lundi, Mardis Mercredis à 21H
Relâche les 28/01 et 18/02
Pensez à réserver
MANUFACTURE DES ABBESSES – 7 rue Véron 75018 PARIS
Réservations et Renseignements : 01 42 33 42 03
Mail : manufacturedesabbesses.com
Métro Abbesses ou Blanche Tarif plein : 24 € Tarif réduit : 13 €
Rencontre après le spectacle
Dimanche 4 mars 2018 a 20h avec l’envers de paris et dalila arpin, AE, membre de l’ECF
Réservation à tarif préférentiel pour l’Envers de Paris au 01 42 33 42 03
La pièce sera aussi jouée à Toulouse Samedi 17 février au Théâtre du Centre
3 questions à… Caroline de Diesbach
par Armelle Gaydon
Armelle Gaydon : La presse vous fait un accueil enthousiaste : « passionnant », « rare », « profond », « lumineux ». Comment est né ce spectacle ?
Caroline de Diesbach : Je suis danseuse, comédienne, auteure et metteure en scène depuis l’âge de dix-sept ans. J’étais aussi en analyse. J’ai depuis longtemps cette idée de vouloir retracer au plus près la séance d’analyse. Alors j’ai pris des notes. Je m’efforçais de décrire fidèlement, comme si j’y assistais, mes séances et leurs effets. Mais il a fallu du temps pour se mettre au travail de traduire cette aventure à travers un objet artistique. Comment mettre en scène l’impact du langage sur le corps ? Comment donner une forme à un matériel recueilli sur vingt années d’expérience analytique ? Un peu naïvement, j’ai d’abord extrait de mes carnets ce matériau éparpillé, sans le juger. Puis, une année entière, j’ai manié ce matériau. J’ai travaillé, essayé, enregistré, en jouant la voix de l’analyste puis de l’analysante. J’improvisais, je dansais, chantais, mimais les entrées, les sorties, les interventions… Au début je cherchais à tout dire, à boucler le texte, à le sécuriser, alors j’en parlais beaucoup en séance. Cet appel au savoir « vrillait » quelque peu l’une sur l’autre les deux expériences. Progressivement, j’ai cessé de vouloir clore les choses. Traduire vingt années d’analyse exigeait de passer par un autre chemin. J’ai compris que l’important était que ce chemin vers l’écriture scénique ait une orientation. Et je sens, je sais, que désormais, cette orientation ne va plus me quitter.
A.G. : Au cinéma, au théâtre, dans les arts, jusqu’ici jamais on ne reconnaissait notre pratique de la psychanalyse lacanienne. Récemment, en passant par le reportage (Gérard Miller, Mariana Otero), la fiction (Iván Ruiz), quelques collègues ont su en transmettre une image fidèle, mais c’était en interviewant analystes et analysants. Votre effort pour ramasser le parcours d’une analyse et ses dialogues en live sur une scène est tout à fait inédit. Vous confirmez ?
C.d.D. : En tous cas, quelque chose est ressorti de ce texte. Le public a montré être sensible à cet effort de traduction. Nous constatons que sur scène comme en analyse, à chaque scansion, coupure ou interprétation, ça marche : tout comme l’analysante, le public s’interroge. En coupant dans le sens, la coupure divise et permet de s’interroger : ces scansions et suspensions de séances (« On s’arrête là », dit l’analyste) ont été frustrantes pour moi et le sont d’une certaine façon pour le public. Si on peut parler d’une passe artistique, mon interrogation sur le rapport du sujet au langage continue et se poursuit par d’autres moyens.
A.G. : Tout n’est pas parfait dans le spectacle, mais il passionne. Il invente un format, un ton, un rythme. C’est formidable.
C.d.D. : Nous avons beaucoup retravaillé le texte lors de son montage sur scène pour chercher le ton juste, une écriture pour que les choses ne soient pas dites du côté du savoir. De mes collaborations avec de grands metteurs en scènes, j’ai retenu qu’au théâtre « le plateau est le maître » : c’est le plateau, la scène, qui décide. Il y a eu plusieurs phases dans cette création : avant mon analyse, pour aborder un texte au théâtre, tout le temps je cherchais le sens. Or, pour que l’inconscient du spectateur soit touché, éveillé, je pensais nécessaire de tenir compte de ce que Lacan appelle la motérialité, la matérialité des mots : il entend par là que – plus que le sens – c’est le mot lui-même qui a un impact, agit sur le sujet, pouvant aller jusqu’à prendre le pouvoir dans sa vie. Au fil des représentations, cette approche continue de produire des effets. Un ami philosophe m’a dit : « ton texte, de A à Z parle du manque ! » À ce moment‑là, je n’avais pas encore réalisé à quel point le manque, la castration, le questionnement sur la langue, sur le féminin, étaient au cœur de ce spectacle et donc de ma vie. Mes questions sur l’amour ont tout le temps été présentes dans mon analyse. Apparemment le public montre qu’il y est sensible.
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre xx, Encore, Paris, Seuil,, Points 2005, p. 118.
[2] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits II, Paris, Seuil, Points, 1999, p. 288.