« Sois sage ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille,
Tu réclamais le soir ; il descend ; le voici […] »[1]
Nul n’est mieux placé que le poète pour donner une forme à ces instants où notre corps souffrant n’est plus que chaos. Qu’elle se réfère au vide, comme un vertige devant un gouffre, ou au trop plein de l’étouffement dans l’angoisse, dans la douleur, c’est bien d’une réduction dont il s’agit – comme on l’entend dans l’expression « réduit à » : ce corps, devenu pur objet pesant sur lequel on n’a aucune maîtrise, ou plutôt notre sentiment d’exister réduit à l’effraction du réel qui fait voler en éclats notre belle image unifiée. Cri ouvert sur le trou du silence, bien souvent la douleur est muette, énigmatique, inquiétante.
C’est d’avoir voulu interroger cette énigme du corps qui résiste à la mesure et à la réfaction au dysfonctionnement organique que la psychanalyse est née. Si Freud a pris au sérieux la douleur des dites-hystériques, c’est justement en refusant de les restreindre à ce corps objectivé par la science, la société, le regard des pères, en repérant dans leur mot à quel point l’organe douloureux construisait une topographie signifiante. Mais c’est alors un autre visage qui se dévoile à Freud, celui de l’obscure satisfaction du symptôme, tout autant que la manière dont la douleur peut permettre justement de venir localiser la jouissance dans un point douloureux[2].
Il nous faut donc aussi considérer, à l’envers de tout un champ psychosomatique, que parfois la douleur têtue n’a rien à dire, et qu’alors c’est un autre usage de la parole qu’il nous faut pratiquer, par la nomination par exemple. De la relance de la chaîne signifiante stoppée nette par l’intrusion du sexuel à la conduite d’une cure plutôt orientée par le hors-sens, c’est donc à toute une gamme de pratiques face au corps souffrant que nous introduit ce numéro, comme autant de savoir-y-faire avec le plus intime comme le plus universel de notre expérience de sujet parlant.
[1] Baudelaire C., « Recueillement », Les Fleurs du Mal, 1857.
[2] Comme dans l’exemple de la rage de dents qu’évoque Freud dans Pour introduire le narcissisme, PUF, p. 89.