Nous publions ici de larges extraits de la conférence que Sonia Chiriaco a donnée à Amiens le 16 septembre.
L’inconscient, nous dit Lacan dans le Séminaire XI, « se manifeste à nous comme quelque chose qui se tient en attente dans l’aire (…) du non né. Que le refoulement y déverse quelque chose n’est pas étonnant. (…) Cette dimension est assurément à évoquer dans un registre qui n’est rien d’irréel, ni de dé-réel, mais de non-réalisé. Ce n’est jamais sans danger qu’on fait remuer quelque chose dans cette zone de larves… » nous prévient Lacan.
Qu’apprend l’analysant à s’aventurer dans cette zone de l’inconscient ? « Ce qui se présente dans cette béance (…) se présente comme la trouvaille qui est en même temps une solution » dit Lacan. Mais c’est aussi bien une retrouvaille, « et qui plus est, elle est toujours prête à se dérober à nouveau, instaurant la dimension de la perte ».
Dans ce séminaire, Lacan insiste plus d’une fois à montrer que ce qui se répète se produit « comme au hasard » et il rappelle que dans l’histoire de la psychanalyse, « la fonction de la tuché, du réel comme rencontre en tant qu’elle est toujours manquée », s’est d’abord présentée sous la forme du traumatisme.
Quant au fantasme, il « n’est que l’écran qui dissimule quelque chose de tout à fait premier, de déterminant dans la fonction de la répétition. »
Toujours en avance sur lui-même, Lacan anticipe sur ses avancées futures et, dans la dernière séance du séminaire XI, il pose la question à son auditoire : « Comment un sujet qui a traversé le fantasme radical peut-il vivre la pulsion ? Cela est l’au-delà de l’analyse et n’a jamais été abordé. »(1).
Il tentera de régler cette question avec sa proposition sur la passe en 1967. Il faudra cependant attendre son tout dernier enseignement pour voir cette question résolue.
Dans « L’envers de la psychanalyse », il va préciser en quoi sa doctrine concernant la répétition diffère de celle de Freud. Comme il l’a annoncé, ce séminaire est une « reprise à l’envers » de sa propre doctrine. C’est encore par un retour à Freud qu’il procède, en s’appuyant spécialement sur la découverte freudienne de la pulsion de mort. Il rappelle d’abord que c’est du discours freudien sur la répétition qu’il a extrait la fonction d’objet a, défini ici comme une perte. « La répétition a un certain rapport avec ce qui, de ce savoir, est la limite, et qui s’appelle la jouissance »(2) dit-il.
« La répétition est fondée sur le retour de la jouissance », mais ce retour comporte une perte, un ratage, car l’objet, comme l’a vu Freud, est irrémédiablement perdu.(3)
L’ajout de Lacan, précise-t-il, c’est le trait unaire, à savoir « la forme la plus simple de la marque, qui est à proprement parler, l’origine du signifiant. » S’il revient ici à la fonction du signifiant, c’est dans une nouvelle perspective où c’est plutôt la jouissance qui se retrouve au premier plan : « Le signifiant s’articule donc de représenter un sujet auprès d’un autre signifiant. C’est de là que nous partons pour donner sens à cette répétition inaugurale en tant qu’elle est répétition visant la jouissance. »(4).
Il ne s’agit plus tout à fait du trait unaire tel que Lacan l’avait isolé dans son séminaire sur l’identification, car ici, le trait unaire sert la jouissance en tant qu’elle excède le plaisir. « La répétition, ça ne veut pas dire – ce qu’on a fini on le recommence… c’est une dénotation précise d’un trait… en tant qu’il commémore une irruption de la jouissance »(5), dit-il dans L’envers de la psychanalyse.
Dans son intervention « Lire un symptôme », J.-A. Miller a montré comment l’addiction est à la racine même du symptôme : « on boit toujours le même verre une fois de plus… C’est en ce sens que Lacan a pu dire qu’un symptôme est un et cætera. »(6)
On voit ainsi comment la répétition vise la recherche d’une jouissance à jamais perdue et bute toujours sur l’insatisfaction qui oblige à recommencer ; mais aussi comment dans cette itération même, la réitération du même, se glisse la jouissance.
La jouissance est-elle primaire, demande J.-A. Miller ? Elle apparaît première dans la mesure où c’est le corps qui se jouit, où la jouissance est du corps. Mais chez le parlêtre, elle subit inévitablement l’influence de la parole.(7) La jouissance du symptôme n’est donc pas primaire ; elle est produite par le signifiant, par « la rencontre matérielle d’un signifiant et du corps. »(8)
Elle entre en jeu par hasard, par accident. Ce hasard, épinglé par Lacan dès le séminaire XI, va prendre une place prépondérante dans son tout dernier enseignement.
« Ce que Lacan a appelé le sinthome, c’est un circuit de répétition, un cycle de savoir-jouissance qui se déclenche à partir d’un événement de corps, c’est-à-dire de la percussion d’un corps par le signifiant. »(9), résumera J.-A. Miller. Et cet événement de corps est lui-même contingent.
Nous avons vu que Freud a buté sur les restes symptomatiques à la fin de l’analyse. Pour lui, cette butée, c’était le roc de la castration et du penisneid. Lacan est allé au-delà, il a considéré que l’analyse avait une fin et il a inventé la passe. Sa passe de 1967 est la passe du désêtre d’où surgit le désir de l’analyste. Il n’en restera pas là. Lacan a fait lui-même un long détour avant de constater que l’analyse n’était pas sans restes symptomatiques et que la fin de l’analyse consistait plutôt à se débrouiller avec son sinthome, à savoir y faire, à savoir le manipuler. « L’analyse ne consiste pas à ce qu’on soit libéré de ses sinthomes… L’analyse consiste à ce que l’on sache pourquoi on en est empêtré »(10) dira-t-il dans « Le moment de conclure ».
« Savoir y faire avec son symptôme c’est là la fin de l’analyse… Il faut reconnaître que c’est court », ironise Lacan dans « L’insu que sait… ». Cette remarque, en effet, contraste avec la durée de l’analyse ; elle renvoie néanmoins à ce peu de chose essentiel qui reste à la fin de l’opération analytique, ce sinthome, reste indivisible, irréductible, nécessairement concis, indispensable au sujet, avec lequel il devra se débrouiller. Une nouvelle version de l’apprentissage, plutôt inouïe !
1 Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, p. 246.
2 Lacan J., Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, p. 14.
3 Ibid.
4 Ibid., p. 53.
5 Ibid., p. 89.
6 Miller J.-A., « Lire un symptôme », Mental n°26, p. 58.
7 Ibid., p. 56.
8 Ibid., p. 58.
9 Miller J.-A. L’orientation lacanienne, L’être et l’Un, enseignement prononcé dans le
cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, 2011.
10 Lacan J. Le Séminaire, livre XXIV, « Le moment de conclure », inédit.