La clinique du rêve américain
C’est avec ce titre au premier abord étonnant que Marie-Hélène Brousse nous propose de faire un « nouveau voyage » de l’autre coté de l’Atlantique dans son enseignement annuel à l’ECF. Ce titre qui fonctionne comme Witz ouvre à l’équivoque : d’une part, l’Amérique est malade ; d’autre, le chevet, le lit, fait entendre la dimension clinique dont il sera question ; par ailleurs, le lit ouvre l’horizon sexuel, le mode de jouir, la question portera donc sur le « mode de jouir qui prévaut dans le discours du maître qui organise le lien social aux États-Unis » ; finalement, au lit on dort et notamment on rêve.
En effet, ce pays a fonctionné pendant longtemps comme un rêve : un rêve de liberté, de richesse, de modernité, le pays du possible, the land of opportunities… sous certaines conditions. Depuis le temps d’Ellis Island, tel que le livre de Georges Perec en parle, à aujourd’hui, d’importants changements se sont produits, et dans le rêve américain et dans le phénomène migratoire. Cependant, son texte reste d’actualité dans la description de ce lieu de nulle-part, un dépotoir, où une rupture radicale brisait à jamais la continuité d’une histoire, où le destin de millions d’hommes se jouait, eux qui avaient choisi de renoncer à tout ce qu’ils connaissaient au nom d’un espoir.
Si l’Amérique a été forgée par ceux qui ont osé ce passage, l’élection de Donald Trump nous révèle qu’elle n’est plus une terre d’accueil. Le rêve américain s’était estompé sous nous yeux, presque sans que l’on s’en aperçoive.
La psychanalyse en Amérique : raisons des échecs
Marie-Hélène Brousse nous propose de penser trois Amériques : celle de Freud en 1909, celle de Lacan en 1966 et 1975, et la nôtre, aujourd’hui. Freud croyait qu’il leur « rapportait la peste », mais il ne comptait pas sur le fait qu’ils en étaient vaccinés. Dans ce qu’il décrit comme l’accomplissement d’un rêve diurne, Freud a été accueilli d’une manière triomphale à l’Université, la psychanalyse « était [enfin] devenue une part précieuse de la réalité(1) ». Mais, du fait de sa réabsorption dans le discours universitaire, la psychanalyse perdra sa condition de peste. Sa découverte sera ainsi « hygienisée ».
Lacan, pour sa part, n’a pas voulu rapporter la peste, mais le symptôme. Il est allé parler, ce qu’il faut entendre à la lettre. Après quelques jours fort chargés à l’Université, Lacan déclare « L’Amérique m’éponge(2) ». Mais en « absorbant » Lacan, qu’en a-t-elle fait ? Il y a eu et il y a encore des lacaniens à l’université américaine, ils se regroupent autour des cultures studies et des féministes ; mais la parole lacanienne n’est pas parvenue aux cliniciens. Le problème tient au lieu d’où on parle, souligne Marie-Hélène Brousse. Le discours analytique, qui n’est pas un discours de domination, de ce fait ne peut pas s’enseigner.
Force est de constater que la psychanalyse lacanienne n’a pas pénétré la langue anglaise. Elle ne l’a pas percée.
Le programme
Outre l’étude des conférences de Lacan aux États-Unis, Marie-Hélène Brousse nous propose de prendre appui sur les mots qu’il a utilisés pour désigner l’Amérique dans les Écrits et les Autres Écrits(3). Au cours de cet enseignement, nous nous intéresserons aussi aux « véritables interprètes de la culture américaine » c’est-à-dire, les artistes. Les références au cinéma, la photographie et même les dessins animés ont été présents dès cette première rencontre. Surprise et joie de l’étude étaient au rendez-vous.
1 CF Sigmund Freud par lui-même, Gallimard, p. 88.
2 La référence se trouve en Ornicar N. 7. Dans une lettre, l’américain Paul B. Newman témoigne du séjour de Lacan aux Etats-Unis qui avait eu lieu à la fin de l’année 1975.
3 Les mots sont : Happiness (pp. 416 et 591 des Écrits et p. 461 des Autres Écrits), Success (pp. 395 et 416 des Écrits), Ego (p. 395 des Écrits), Moi Autonome (p. 485 des Écrits), Challenge (p. 485 des Écrits), Non conflictual sphere (p. 590 des Écrits), American way of life (p. 591 des Écrits), Pillage (p. 601 des Écrits), Dégradation de la psychanalyse (pp.631, 647 et 794 des Écrits), Consommation (p. 832 des Écrits), Routine et Confort des psychanalystes (p. 258 des Autres Écrits), ethnologie de la peuplade américaine (p. 498 des Autres Écrits) et discours sectaire fondateur (p. 395 des Autres Écrits).