En 1953, dans Les Écrits techniques de Freud, Lacan interroge « l’activité de l’analyste. Comment agit-il ? Qu’est-ce qui porte de ce qu’il fait ? » [1], « Qu’est-ce que nous faisons quand nous faisons de l’analyse ? » [2]
En 1910, Freud avance : « une intervention thérapeutique ne peut être menée comme une investigation théorique. […] [L]’expérience nous apporte effectivement chaque jour du nouveau » [3]. « Le psychanalyste sait qu’il travaille avec les forces les plus explosives et qu’il lui faut la même prudence et la même scrupulosité que le chimiste. » [4] C’est du sérieux, le matériel est hétérogène, le praticien y rencontre des obstacles. Freud les interroge et en fera les fondements de sa découverte.
Sous le titre La technique psychanalytique sont regroupés de façon non exhaustive des articles de Freud, où il construit singulièrement sa réflexion quant à la méthode psychanalytique. Freud n’applique pas une méthode déjà là. Ses écrits, que Lacan qualifiera de techniques, témoignent du caractère rigoureux, « unique [et] inaugural, de sa démarche » [5]. De son expérience, il en tire un enseignement qu’il partage.
Freud repère que « chaque psychanalyste ne va qu’aussi loin que le permettent ses propres complexes et résistances internes, et nous réclamons par conséquent qu’il commence son activité par son auto-analyse » [6]. Le psychanalyste fait partie de l’équation.
De sorte que la technique analytique n’existe pas en tant que technique universelle. Pour autant, quelque chose de cet ordre doit pouvoir être épinglé rigoureusement concernant le mode opératoire analytique au cas par cas, dont l’analyste doit rendre compte.
Lacan nous formule cette invitation : « Avant de manier le vocabulaire, il s’agit d’essayer de comprendre, et, à cette fin, de se placer en un lieu d’où les choses s’ordonnent. » [7]
Une invitation à se mettre au travail, à atteindre une place vide d’où peuvent se saisir les choses et à construire un savoir y faire. Depuis Freud, la règle fondamentale de l’analyse est l’association libre sous condition du transfert, qui va donner une certaine forme au matériel et exiger de l’analyste une présence et une « attention » singulières d’où surgira son acte.
Une place à occuper se désigne, d’où peut s’opérer un acte, une conduite de la cure à mener, non à tort et à travers de façon sauvage [8] mais orientée par une éthique inscrite dans le champ de l’expérience et sa variété. Le dispositif analytique est un lien social particulier au sein duquel on peut repérer des petits bougés pour les sujets qui ont décidé de s’adresser à un analyste, à la condition d’une fonction essentielle : le transfert, qui s’y construit et à partir duquel se repèrent les effets de la cure. Mais aussi comme index du lieu d’où intervient l’analyste de par son transfert de travail orienté par et vers la cause analytique.
C’est une pratique qui fait le pari de ce qu’il y a de plus vivant et d’inédit dans cette expérience. Ce qui en constitue son essence et son éthique.
Valérie Bischoff
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[1] Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les Écrits techniques de Freud, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 40.
[2] Ibid., p. 16.
[3] Freud S., « Les chances d’avenir de la thérapie psychanalytique », La Technique psychanalytique, Paris, PUF, Quadrige, 2007, p. 28.
[4] Freud S., « Remarques sur l’amour de transfert », La Technique psychanalytique, op. cit., p. 141.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les Écrits techniques de Freud, op. cit., p. 29.
[6] Freud S., « Les chances d’avenir de la thérapie psychanalytique », op. cit., p. 31.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les Écrits techniques de Freud, op. cit., p. 49.
[8] Cf. Freud S., « De la psychanalyse sauvage », La Technique psychanalytique, op. cit., p. 141.