Lors de « Question d’École », j’ai parlé d’un rêve qui avait fait suite à mon premier témoignage d’AE, rêve dans lequel j’étais sur un vélo qui prenait de la vitesse et j’avais peine à freiner, en contre bas il y avait un mur sur lequel je risquais de me cogner. Éric Laurent a fait valoir que ce mur renvoyait au mur du langage, donc mur à franchir au-delà du corps imaginaire pris entre inhibition et angoisse. Jacques-Alain Miller fait du parlêtre, l’(a)mur qui permet de « percer […] le mur du langage » [1] : « C’est un effort continué que de rester au plus près de l’expérience pour la dire, sans s’écraser sur le mur du langage. Pour nous aider à le franchir, ce mur, il nous faut un (a)mur, j’entends un mot agalmatique qui perce ce mur. Et ce mot, je le trouve dans le parlêtre » [2]. Ce signifiant noue en effet l’objet a, la parole et l’être. L’expression « le mur du langage » [3] se trouve dans le Séminaire II de Lacan. En 1972, il s’adresse aux internes en psychiatrie dans la chapelle de Sainte-Anne dont les murs sont convoqués comme « entourant un vide » qui permet de faire « résonance » aux dits. Et Lacan ajoute : « Supposez que la caverne de Platon, ce soit ces murs où se fait entendre ma voix. […] supposez que Platon ait été structuraliste, il se serait aperçu de ce qu’il en est vraiment de la caverne, à savoir que c’est sans doute là qu’est né le langage. […] Il y a longtemps que l’homme vagit comme n’importe lequel des petits animaux piaillant pour avoir le lait maternel, […] dans le babillage, le bafouillage tout se produit. Pour choisir, il a dû s’apercevoir que les k, ça résonne mieux du fond […] de la caverne, du dernier mur, et que les b et les p, ça jaillit mieux à l’entrée, c’est là qu’il en a entendu la résonance » [4]. J’ai pu récemment entendre l’effort d’un enfant de quinze mois faire résonner « mamapapa », dans sa lalangue qui ne différencie pas encore maman de papa, en effet dans les soins suite au confinement papa fait la maman, et inversement !
Dans sa conférence aux États-Unis en 1974 Lacan dit ceci : « L’inconscient, nous imaginons que c’est quelque chose comme un instinct, mais ce n’est pas vrai. […] la façon dont nous réagissons est liée non pas à un instinct, mais à un certain savoir véhiculé non pas tant par des mots que par ce que j’appelle des signifiants […], c’est ce qui prête à équivoque. L’interprétation doit toujours – chez l’analyste – tenir compte de ceci que, dans ce qui est dit, il y a le sonore, et que ce sonore doit consonner avec ce qu’il en est de l’inconscient » [5]. J’en ai eu récemment un aperçu lors d’une séance avec une patiente qui a souhaité poursuivre ses séances par visioconférence. Elle est photographe et enseigne la méditation, elle me raconte un rêve dans lequel elle se voit avec Depardieu mais sa langue fourche et elle dit « Deperdieu », je fais résonner et elle entend « deux paires d’yeux », ce deux paires d’yeux qui, du fait de ce dispositif numérique, se regardent, mobilisant l’axe imaginaire. Il faudra, dès la fin du confinement, ramener la présence des corps pour cette patiente, qui a été regardée bizarrement par une mère mélancolique et sévèrement par son père. Dans ce laps, il y a aussi la perte, « le dieur – le dire » [6], auquel elle s’astreint pour régler son monde. Si de l’objet a regard elle tend à faire sinthome dans sa pratique de photographe, la méditation apaise les colères qui la submergent avec son enfant. En tant qu’analyste, l’(a)mur, que j’ai trouvé pour rester au plus près de l’expérience dans ce temps de confinement, est celui de la « résonance ».
[1] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, n°88, octobre 2014, p. 105.
[2] Ibid., p. 109.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre II, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique psychanalytique, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1978, p. 288
[4] Lacan J., Je parle aux murs, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 89.
[5] Lacan J., « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines. Columbia University. Auditorium School of International Affairs. 1er décembre 1975 », Scilicet, n°6/7, 1976, p. 50.
[6] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 44.