Au sortir de l’été, Nathalie Jaudel, avec La Légende noire de Jacques Lacan (Navarin/Le Champ freudien), nous a gratifié d’une vivifiante bouffée de fraicheur. Ceux qui s’intéressent à Lacan sous le mode biographique sans éluder le psychanalyste y ont trouvé de quoi lire et s’instruire. Une lecture précise et informée, orientée et implacable, de ce qui est communément narré du personnage dans la veine historique, qui fait occasion de remettre en chantier l’art et l’usage de la biographie dans notre champ. Le thème est ancien, il mérite aujourd’hui réactualisation alors que tant de donnes antérieures changent, et que d’ailleurs paraissent de nouvelles biographies de Freud. Lacan et Freud racontés à nouveaux frais au XXIe siècle: les Séminaires de La Règle du jeu les ont donc mis sur la table d’un débat avec René Major, Catherine Millot, Nathalie Jaudel et Éric Laurent, ce dimanche matin de fin janvier.
Ce fut moins une séance de polémique qu’un espace de liberté, laquelle se heurte incessamment ici aux écueils, aux reliefs, aux chausse-trapes qui empêchent les voies royales et les trajets linéaires.
Nathalie Jaudel prend soin de débusquer dans son livre les jugements personnels portés sur le personnage de Lacan, lorsqu’on les fait prévaloir à répétition sur ce qu’il ne cesse de remanier, de reformuler de façon déconcertante dans ce qu’il s’efforce de transmettre, et donne une nouvelle jeunesse aux prétentions biographiques qui concernent davantage le biographe que le personnage.
La biographie relève plus du roman d’un personnage que d’une « vie » où il est davantage possible de faire prévaloir ce que quelqu’un a laissé à ceux qui tentent de le suivre. Jacques-Alain Miller, il y a peu, nous a réappris, se référant à Plutarque, à percevoir que les innombrables anecdotes rapportées à propos de Lacan ne prennent du relief que de son enseignement. Le débat permit d’ailleurs de revenir sur certaines et de mettre l’accent sur de nouvelles distorsions notables entre des informations données et les termes dans lesquels elles ont pu être reprises.
Le vrai danger de la biographie d’un psychanalyste est de ne pas se préoccuper de l’actualité de la psychanalyse, de l’acuité de sa pratique et de son incidence dans le siècle que nous vivons aujourd’hui. Cela amène à sélectionner des termes de sa vie sans se préoccuper de leur rapport à la psychanalyse. Il est de faire d’un psychanalyste, de celui qui en a fondé la pratique ou de celui qui fit en sorte que celle-ci puisse rester vivante, un personnage de roman auquel on voudrait le réduire. Car ce qui se dégagea du débat engagé avec la salle, c’est d’abord en quoi les outils légués par leur travail peuvent se repérer parfois dans l’abord des vies de Lacan et Freud. Il convient d’y entrer par l’interprétation incluant un dire plutôt que par la description se réduisant à des énoncés qui mettent en avant un jugement de l’auteur biographe surplombant son objet. Ce dernier n’est pas le bon relief, celui dont on peut se servir.
Ce fut une bonne matinée.