Dans le traitement bref, la coupure, liée au dispositif, est un acte qui opère sur la jouissance de la parole. Juliette avait déjà consulté à parADOxes l’année dernière. Le traitement s’était interrompu du fait du départ prématuré du premier consultant. Or, Juliette en redemande.
Je rencontre une gymnaste décidée de 17 ans. Cette travailleuse acharnée, n’a « pas trop le temps de réfléchir ». « Show must go on ! » est sa devise. Chercherait-elle sans le savoir à mettre un frein à sa jouissance féminine du côté de l’illimité ?
À toute allure, Juliette énonce quelques coordonnées parentales. Côté maternel, une répétition de femmes laissées tombées par les hommes sur plusieurs générations. Son père, un « malfrat », parti à l’annonce de la grossesse, réapparaît à ses 4 ans. Il avait refait sa vie. Juliette avait un petit frère dont elle aimait s’occuper, jusqu’au jour où son père se met à l’insulter et à vouloir la frapper. Elle porte plainte contre lui. Depuis, Juliette s’inquiète pour son petit frère qu’elle n’a plus jamais revu suite à cet événement : quel homme va-t-il devenir compte tenu du modèle qu’il a ? Là est sa question, côté femme.
Juliette qui va « à cent à l’heure », se dit « plus légère » depuis qu’elle prend le temps de parler en séance de ce qui ne va pas tout droit dans sa vie, à condition de ne pas venir la chercher « du côté de ses émotions ». Au fil des séances, quelque chose de sa parole effrénée se module, touchant au corps. Cela la surprend.
D’abord, une entorse au pied, le jour de son anniversaire. Elle s’est « prise les pieds dans le tapis » là où on exige d’elle « maîtrise et perfection ». Contre toute attente, Juliette s’en saisit pour décider de profiter de la vie, contrairement à « celles qui passent leur jeunesse à faire attention, rivées sur leur corps, leur famille embarquée dans cette angoisse ». Elle envisage même de prendre son indépendance car sa mère, ancienne sportive, vit « par procuration » à travers elle, « limite intrusive ». Juliette va trop vite.
La séance suivante, elle arrive effondrée, sans comprendre ce qui lui arrive avant d’extraire deux événements : « Un garçon, un connard, l’a faite parler. Elle a laissé passer son émotion, et il s’est foutu de sa gueule ». Dans le même temps, sa mère l’a « forcée » à chanter devant elle, pour ensuite lui reprocher « de ne pas laisser passer ses émotions ». Juliette n’aime pas ce qu’elle est devenue : une fille « hautaine, intouchable et intraitable » pour « ne pas se laisser marcher sur les pieds ». La gymnastique, c’est le désir de sa mère. Le sien, c’est l’équitation, que sa mère lui a interdite après une chute alors que la relation à l’animal « l’apaise ». Elle lui en veut terriblement. Mais la décevoir en arrêtant la gymnastique lui est impossible. Pour autant, Juliette qui ne veut pas « galérer » comme sa mère, s’est inscrite en Faculté de Langues pour ne pas tout miser sur le sport. Je lui fais part d’un tournant décisif dans le travail, compte tenu de ce qui commence à la diviser. Mais Juliette entend bien aller « au bout des 16 séances ». Cette tentative de coupure ne sera néanmoins pas sans effet.
Juliette n’en revient pas, la dernière séance l’a « réveillée ». Elle est heureuse de pouvoir faire désormais « ses choix ». Elle repère qu’elle s’arrange toujours pour tomber amoureuse en vacances, de garçons qui habitent loin, la relation est impossible. Juliette veut « prévenir » cela car son projet est de fonder une famille et non de reproduire le schéma de la filiation maternelle, ce qu’elle nomme le « Girl Power ». Je me lève et dis : « Votre question ne se réglera pas en quelques séances ! » Je mets cette fois-ci la coupure de mon côté, n’étant pas cet autre intrusif qui vient la chercher dans ses affects. Sa question est désormais de son côté. Juliette rit car depuis toute petite, on lui demande de « ralentir le tempo ».