On se met à parler aux machines, on leur prête un savoir, on leur demande tout un tas de choses. On arrive chez l’analyste avec la réponse de l’ordinateur quand celle-ci n’a pas suffi à boucher la question : J’ai cherché sur internet, je crois que je suis HPI. Que devient alors l’énonciation ?
Dès qu’on dit quelque chose, ce dit est soumis à vrai ou faux. L’ordinateur peut y répondre. Mais quand Lacan le déplie à partir de la logique, se pose la question de Qui parle ? C’est nécessairement quelqu’un qui est hors de l’ensemble des dits. L’énoncé Je mens l’illustre et ne peut être porté par un ordinateur. Aussi intelligent soit-il, ce dernier reste bête quant au langage, il n’a pas d’énonciation. À propos de Google, Jacques-Alain Miller indique : « Si les réponses foisonnent à l’écran, c’est qu’il comprend de travers. Le signal initial est fait de mots, et un mot n’a pas qu’un seul sens. Or le sens échappe à Google, qui […] ne déchiffre pas.1 » C’est donc bien celui qui lui a adressé sa question qui va « trouver dans le foin des résultats l’aiguille de ce qui fait sens pour [lui] », puisque c’est bien lui qui formule, par exemple, Je suis HPI.
L’analyste, contrairement à Google, sait bien que le mot n’a pas un seul et unique sens. Plus encore, que ce qu’on dit est un délire qui répond au trou-matisme initial. C’est pourquoi il interroge, ne comprend pas, s’arrête sur le détail, sur le Qu’est-ce que cela veut dire pour vous HPI ?, etc. Se déplient alors les dits où pourra se faire jour le dire, les résonances de la langue privée du parlêtre. La psychanalyse s’oriente du dire en ceci qu’il est affin au non-rapport sexuel. Le couple énoncé–énonciation est renouvelé par le dit et le dire quand Lacan met le curseur sur la jouissance qu’il y a. J.-A. Miller en précise ainsi la distinction : « le dire, c’est l’énonciation, mais c’est la part invisible de l’énonciation2 ». Si le dit est ainsi du côté du tout, de l’universel, précisons que tout ne peut pas se dire, qu’il y a là un impossible. Le dire qui soutient les dits est en dehors de l’ensemble. On se rappelle, à cet égard, de la célèbre citation de Lacan : « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend.3 »
La spécificité du discours analytique est de faire ex-sister le dire4. La cure apprend à l’analysant à s’entendre parler, non pas dans le sens, mais dans la façon dont la jouissance aimante ses dits, soit le monologue de sa jouissance. Il faut pour cela l’acte de l’analyste, son dire, qui fait obstacle5 au sens. Qu’un patient arrive empreint d’un lexique informatique ou avec des signifiants prélevés sur internet y change-t-il quelque chose ?
Ce qui est nouveau, c’est que l’homme aime à s’imaginer machine6 : Qu’on dise en est d’autant plus oublié – Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Google (ou, encore, le protocole). Mais cela ne fait pas céder l’angoisse ni ne règle la jouissance du corps. Avoir le savoir dans sa poche via le smartphone n’y fait rien, si ce n’est l’empirer. En effet, les demandes de consultation ne cessent de croître. Une des difficultés est que, parfois, le patient voudrait bien qu’on le répare. L’analyste répond autrement qu’un psybot, car il sait que l’impossible à supporter est une affaire de jouissance – et cela fait toute la différence ! Si les thérapies en tout genre se multiplient pour maîtriser le corps, la psychanalyse s’oriente de sa « substance jouissante7 ». Le dire, quand il ex-siste, va ainsi avec la satisfaction, celle qui fait qu’on revient à la séance suivante.
Sarah Camous-Marquis
[1] Miller J.-A., « Google », La Cause du désir, n°97, novembre 2017, p. 77.
[2] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Un effort de poésie », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 4 décembre 2002, inédit.
[3] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 449.
[4] Cf. ibid., p. 467.
[5] Cf. Bonnaud H., « Myriam Chérel interviewe Hélène Bonnaud », Ironik!, n°31, 10 juillet 2018, disponible sur le site de l’UPJL.
[6] Cf. Miller J.-A., « Neuro-, le nouveau réel », La Cause du désir, n°98, mars 2018, p. 112.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 26.