Coralie Fargeat porte avec succès son deuxième long métrage, The Substance. Ce film ne pouvait pas laisser indifférent l’Envers de Paris et l’ACF Île-de-France, qui sont au travail de préparation pour leur prochaine Journée intitulée, « Fantasmes contemporains du corps », prévue le 6 décembre 2025.
Car dans The Substance, il s’agit du corps, de son image, de sa chair et de ses orgies. Autour d’un « pacte avec le diable […] via la science du jeunisme[1] », la réalisatrice met en scène, à l’ère du mariage de la science et du discours capitaliste, un fantasme bien connu de l’être parlant : « Qu’il serait beau d’être plus jeune, plus belle, plus parfaite ! » Elle nous embarque dans « une expérience viscérale[2] », en nous immergeant dans la réalisation de ce fantasme qui, ici, transcende la question de l’image du corps et de sa chair jusqu’à son explosion.
L’objet regard est au premier plan dans un face à face imaginaire, tout en convoquant le spectateur à regarder en face la transformation du corps en accéléré. Qu’il s’agisse d’une caméra, d’une affiche, c’est bien le stade du miroir qui est aux commandes : « la machine de tout fantasme[3] », comme le nomme Jacques-Alain Miller.
Une substance injectable, commandée et livrée dans un locker en call and collect vous promet de créer « une meilleure version de vous-même ». Le fantasme d’un corps plus jeune, plus beau, se réalise : de l’extraction d’un corps vieillissant incarné par la sublime Demi Moore, s’arrache un deuxième corps pourvu d’une image parfaite, laissant apparaître dans un deuxième temps le corps comme sac vide[4].
Le cœur du film est du registre du spéculaire. C’est la puissance de captation du corps, du corps comme image[5]. Tantôt face au reflet dans le miroir, tantôt devant une caméra, deux corps se font face, dans un dialogue minimaliste, rythmé par de longs silences, qui ne peut que conduire au meurtre ; seule solution pour se libérer de l’aliénation que constitue cet autre. Tout au long du film, la voix du maître ne cesse de répéter qu’elles ne font qu’une. C’est ce Un de l’image qui se dédouble, la vieille et la jeune se substituant l’une à l’autre dans une temporalité d’une semaine sur deux. Le corps de l’une prend la place de l’autre. En aucun cas, cette alternance ne peut être changée. Le temps ici prend valeur de réel comme ce qui revient toujours à la même place.
La réalisatrice nous fait pénétrer de l’autre côté du miroir où la beauté devient monstre. Avec The Substance, C. Fargeat fait sauter la barrière de ce qui se cache derrière le beau. Alors oui, les paupières du spectateur se ferment parfois devant l’horreur. Car, comme le précisait J.- A. Miller, « le beau surgit comme la dernière barrière sur le bord de la jouissance avec ce qu’elle a d’insoutenable[6] ».
Stéphanie Lavigne
[1] Entretien avec Coralie Fargeat, « The Substance : la SF à bras le gore », La science CQFD, France Culture, émission du 14 novembre 2024, disponible sur internet.
[2] Ibid.
[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Du symptôme au fantasme et retour », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 24 novembre 1982, inédit.
[4] Miller J.-A., « Notice de fil en aiguille », in Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 214.
[5] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, op. cit., p. 8.
[6] Miller J.-A., « Opérer avec la Chose », Horizon, no66, novembre 2021, p. 32.