Comme le souligne Lilia Mahjoub dans son argument, derrière sa simplicité, ou plutôt à l’intérieur même de son apparente « banalité », le titre des 54èmes Journées de l’ECF, « Phrases marquantes », recèle une dimension énigmatique, laissant à la charge de chacun qui s’y engage d’en relever quelque chose.
À titre d’illustration, intéressons-nous à cette citation de Lacan : « L’inconscient, c’est un moment où, à la place du sujet du pur langage, parle une phrase, dont la question est toujours de savoir qui l’a dite.1 » Cette phrase est marquante dans la mesure où, comme il est fréquent chez Lacan, elle est à contre-courant du sens convenu et remet en cause la doxa psychanalytique. Elle est d’autant plus marquante que Lacan redéfinit alors l’inconscient : il n’est plus un espace, une topique, mais un moment qui inscrit une rupture par rapport à la chaîne signifiante qui définit le « sujet [comme] pur langage ».
Là où le sujet, produit de l’articulation signifiante (S1-S2), est, en tant que tel, réduit à n’être qu’une signification, l’inconscient – non pas sa réalité mais son réel – est une phrase, c’est-à-dire une production langagière dite dans sa matérialité, un son. La question qui se pose est de savoir quelle est sa source, qui l’a dite ? Est-ce l’Autre ? Est-ce le sujet ? On ne saurait le dire.
Lacan évoque à ce propos « la nouvelle linguistique » requise pour rendre compte de cet inconscient-là. Elle n’est sans doute pas celle sur laquelle il s’est jusqu’ici appuyé pour refonder la psychanalyse à partir de la définition de l’inconscient structuré comme un langage. Ici, l’inconscient est une phrase hors structure langagière : les productions sonores qui échappent à la maîtrise du sujet comme les lapsus, ou celles ayant un caractère « imposé » telles les hallucinations, ou encore les holophrases, sont autant d’énoncés qui, dans la perspective de ce nouvel inconscient, se situent au-delà du sens. Cette phrase de Lacan évoque donc la production corporelle, le langage étant ramené au statut d’un déchet, voire de parasite qui affecte le corps du parlêtre.
À l’orée de son dernier enseignement, en 1967, Lacan pose la question : « De quoi parle le langage […] quand il est ainsi désarrimé du sujet, mais par cela le représentant dans son vide structural radicalisé ? […] Il parle du sexe.2 » Autrement dit, de la jouissance qui, elle, est bien souvent silencieuse.
Pour ces J54, il s’agira, comme l’indique Lilia Mahjoub, d’articuler la clinique au discours analytique à partir notamment des apports de Lacan sur cet inconscient au-delà de l’Œdipe, au-delà du père, au-delà du sens, et qui aujourd’hui se manifeste de bien des façons à travers le monde.
Hervé Damase
[1] Lacan, J., Le séminaire, livre XIV, La Logique du fantasme, Paris, Seuil/Le champ freudien éd., 2023, p. 257.
[2] Ibid.