Ce texte est un extrait de l’intervention de Christiane Alberti à « Question d’École », le 1er février 2020.
C’est d’abord dans la reconnaissance de la parole comme telle que le désir de l’analyste est mis en jeu dans la cure et fait l’enjeu du contrôle : quand le contrôle ne se laisse pas réduire à la chronique des événements qui ont émaillé la vie d’un analysant, il rend sensible l’épreuve si singulière de la parole en analyse, la façon dont un sujet réalise cette expérience.
La parole dépend de la réponse de l’analyste et précisément de son silence : c’est dans ce silence qu’elle se produit comme telle. C’est dans la surprise, dans la dimension de la hâte qu’émerge la parole pleine. L’analysant dont on parle n’étant pas là en personne, le contrôle est susceptible de rendre d’autant plus sensible les signifiants dégagés de l’intention de signification. Se mesure ainsi l’écart entre ce qui se dit (toujours du signifié) et ce qui s’entend, le décalage entre le dire et le dit, qui ménage le lieu de l’interprétation. On peut ainsi extraire du flot continu de la parole, la dimension propre du signifiant. Le signifiant qui se détache de la routine du signifié, appréhendable, rendu perceptible dans sa matérialité. Pas seulement la vérité qui parle Je mais le mot-matière, la matière sonore fondamentale.
On peut à l’occasion percevoir, être sensible ou interroger non seulement quelle intervention l’analyste a fait, ce qu’il a dit au patient mais comment il l’a dit. L’énonciation, l’art de dire de l’analyste : « Le désir de l’analyste, dit Jacques-Alain Miller, n’est peut-être qu’une autre façon de désigner le dire de l’analyste »[1]. Comment la voix, la posture, la mimique vont donner figure à l’objet a aux commandes du dispositif analytique. Autrement dit, on met en jeu dans le contrôle comment l’usage du semblant, sa mise en fonction, de façon différente d’un patient à l’autre, en fonction de l’Autre de ce patient. Pour tel patient on sera une pierre, pour tel autre un partenaire bien vivant. Mais on pourra user de ce semblant avec d’autant plus de liberté, que l’on sera suffisamment détachés de sa propre stimmung, son caractère symptomatique. Il ne s’agit pas de viser un potentiel contre-transfert, ou la vibration personnelle de l’analyste à une parole du patient, mais plutôt ce qui est mis en jeu du mode de jouir, du goût de la vie. La question est complexe car le désir de l’analyste n’est pas un désir pur, il a pris racine là.
Si on aperçoit cet obstacle, comment le communiquer au contrôlant ? Il ne s’agit pas d’une interprétation (le contrôle n’est pas le lieu de l’analyse) mais plutôt fait-on saisir à l’analyste-contrôlant cette dimension. La pulsion parle une langue éminemment singulière, insue du sujet lui-même, et c’est seulement à utiliser cette même lalangue que l’on a chance de le toucher dans ce registre existentiel.
Le contrôle est un dispositif privilégié pour extraire la dimension de la parole en tant que telle. L’enjeu est à la fois éthique et politique dans un contexte de civilisation que l’on peut qualifier d’occultation et d’instrumentalisation de la fonction de la parole. Si le contrôle enseigne, c’est bien au sens où toute parole comme telle est déjà un enseignement, comme le dit Lacan. La parole avec ce qu’elle comporte de limite, avec ce qu’elle contient de silence. On considère classiquement que la structure du contrôle est tripartite : l’analyste, l’analysant, le contrôleur, posons un quatrième terme : la parole, comme telle. La parole à saisir dans sa matérialité concrète, sans aucune attribution, aucune intention, aucun destinataire. La parole comme réel, la parole « absolument insondable »[2].
[1] Miller J.-A., « Petite introduction aux pouvoirs de la parole », La Lettre mensuelle, n°142, septembre 1995, p. 21.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 264.