Le nouveau livre de François Ansermet intitulé L’origine à venir [1] reprend le thème de l’origine cher à l’auteur. Ce thème avait fait l’objet d’un de ses précédents ouvrages sous le titre de Clinique de l’origine. C’est pour le moins original d’aborder l’origine comme boussole dans la clinique. Il est vrai qu’il est bien plus courant de voir cette question de l’origine au firmament des discours religieux qui, de toujours, inscrivent l’origine de l’homme et son corollaire – le destin – dans un dessein divin, mode interprétatif possible du nouage du langage et du vivant.
La psychanalyse freudienne s’est aussi penchée sur l’origine à partir de la clinique de l’enfant en pointant que la fameuse question d’où viennent les enfants ? ouvrait à la construction de théories sexuelles infantiles qui écartent ainsi le sexe de la procréation. L’auteur nous rappelle que le recours à la fiction marque que « l’origine est barrée par l’amnésie infantile » [2]. Ce livre nous offre aussi, au plus près de la pratique analytique, un regard, une réflexion qui nous éclaire sur la question contemporaine du sexuel, de la transition de genre au-delà de positions dogmatiques que l’auteur expose par ailleurs avec clarté. En ce sens, ce livre est d’une grande actualité.
Dès son premier chapitre « Les énigmes de l’origine » [3], l’auteur note que ce que signifie venir au monde pour l’être humain se heurte à quelque chose d’inassimilable, à un manque de représentation. Si l’auteur accorde une place centrale à l’enfant, c’est bien parce que, dit-il : « [il] implique l’énigme » [4], celle de sa naissance, celle de l’assomption de sa sexuation. Nous pouvons suivre dans l’ouvrage les linéaments de cette énigme qui a, de fait, pris de nouvelles formes dans le champ de la procréation, de la transition de genre, en rebattant de façon irréversible les cartes de l’idéal de nature sous les effets du discours de la science et de la biotechnologie médicale.
L’apport majeur du travail de F. Ansermet est de dépasser d’emblée les attaches signifiantes communes du terme même d’origine pour lui donner l’empan du réel. Situer l’origine dans le réel au même titre que le sexuel et la mort, c’est dire que nul n’y échappe, mais c’est pour avancer aussitôt, indique l’auteur, que c’est donc une affaire de sujet. C’est pourquoi F. Ansermet donne au lecteur à entendre que tout processus de sexuation se fonde de la position de sujet, qu’il s’appuie sur la contingence d’un donné anatomique dans les cas d’intersexe, que cela concerne les dysphories de genre ou encore le déni de grossesse. Affaire de sujet, c’est alors, pour l’auteur, faire place à l’inattendu de la vie qui décale des prédictions, du prêt-à-penser des discours communs et des débats qu’ils suscitent. En effet, comme l’écrit F. Ansermet, à l’ère de l’autodétermination genrée, que l’on soit ou non trans-affirmatif par exemple, « on se retrouve face aux mêmes points de butée : ces butées logiques propres aux limites du logos » [5]. Pour autant, il incombe au psychanalyste, ajoute l’auteur, de connaître les enjeux et les tensions en jeu dans les débats actuels. Cet ouvrage joue ce rôle pour le lecteur grâce à la richesse des sources convoquées.
Tout l’intérêt de ce livre est d’inscrire la clinique des sujets contemporains qui sont en prises avec les enjeux actuels de la question de l’origine et qui en reconfigurent les énigmes.
Avec précision, F. Ansermet nous démontre que, si le praticien fait place à la façon dont chacun a à inventer son être sexué, sa sexualité, l’origine est alors toujours à venir comme l’indique le titre de son livre. Il fait en outre valoir que l’analyste aura chance de se situer faces à ces nouvelles demandes s’il saisit qu’elles sont au fond des butées qui « se traduisent dans une série d’inévitables malentendus » [6].
Sans conclure sur ce thème, l’auteur fait ainsi l’éloge de la contingence et de la surprise pour pouvoir, dans des moments cruciaux de l’existence d’un sujet, lui permettre de se défaire de la férule de l’origine. Il y a une voie à suivre, ponctue F. Ansermet : « comme l’a dit Lacan, l’exploit de la psychanalyse, “c’est d’exploiter le malentendu”. » [7]
Martine Versel
_____________________________
[1] Ansermet F., L’Origine à venir, Paris, Éditions Odile Jacob, 2023.
[2] Ibid., p. 18.
[3] Ibid., p. 19-71.
[4] Ibid., p. 19.
[5] Ibid., p. 115.
[6] Ibid., p. 119.
[7] Ibid. F. Ansermet cite Lacan dans « Le malentendu », Ornicar ?, n° 22/23, printemps 1981, p. 12.