Matinée de formation du 24 mars 2015 – Salle des Archives municipales à Lyon
Qu’est-ce qu’accueillir quelqu’un au CPCT ? Nicole Borie donne une réponse générale et une réponse particulière articulée à un cas. L’analyste nous apprend, lors de l’accueil d’un sujet en particulier, que les questionnements de l’analyste sur les conséquences subjectives de sa pratique ne doivent jamais être éludés.
Pour vous parler de ce passage par le CPCT des personnes accueillies, je vais partir du dispositif même du CPCT.
Le CPCT est un outil pour les travailleurs sociaux qui nous adressent, ainsi c’est un lieu où arrivent des personnes qui sont d’une certaine manière « accompagnées ».
Ce dispositif est assez simple dans son principe : toute personne de plus de dix-huit ans qui en fait la demande est reçue par un consultant. Lors de cet entretien se décide la suite. Après une ou deux consultations, la personne peut passer en traitement, une fois par semaine, avec un autre praticien, pour seize séances. Comme vous l’avez entendu ce matin, nous recevons beaucoup de jeunes qui sont aussi décidés que désarrimés, et trouver la meilleure manière de les accueillir fait partie du dispositif qui s’invente dans chaque cas. Nous accueillons les solutions que chacun avait déjà trouvées et nous repérons celles qui ne tiennent plus. Ce sont souvent des solutions anciennes, mais aussi des solutions très défaites. Très rare sont ceux qui poussent la porte du CPCT en passant devant le centre. À chaque fois, quelqu’un a indiqué l’adresse du CPCT. Certains sont dans un état d’urgence, ou très démunis pour parler, d’où l’importance qu’ils soient accompagnés par ceux qui ont souci d’eux. Il ne s’agit pas de les accompagner physiquement, bien que cela se produise. Ce qui exige du CPCT quelques conditions de souplesse par rapport au fonctionnement standard d’une institution.
La première souplesse est d’accepter les absences au premier rendez-vous. Nous en avons beaucoup discuté cette année puisque nous avons eu affaire à une augmentation sans précédent d’absences aux premiers rendez-vous. Nous avons essayé de comprendre et de parer à ce phénomène qui a priori s’écrit dans les chiffres. Il a donné lieu à une réflexion clinique qui a permis de trouver des solutions pragmatiques. Autrement dit, nous avons inclus ce phénomène dans notre façon de penser l’accueil au CPCT. Nous avons décidé qu’une personne peut prendre plusieurs rendez-vous sans venir et qu’elle sera acceptée une troisième, voire une quatrième fois, si elle prend rendez-vous. Nous essayons de comprendre cette augmentation et nous en avons discuté lors de nos rencontres avec nos financeurs.
Après ce premier rendez-vous, il y a celles et ceux qui ne peuvent pas être adressés pour des raisons diverses à un autre praticien au sein même du dispositif du centre. Tout se décide dans le huis clos avec le patient. Le consultant peut choisir de garder la personne en traitement pour seize séances avec une temporalité que l’on ne connait jamais à l’avance. On peut dire « Allez, on essaye toutes les 3 semaines », et puis finalement ce ne sera pas ça, ça peut être tous les mois, puis ce sera tous les quinze jours, puis de temps en temps ce sera toutes les semaines, puis toutes les six semaines. Enfin, une façon de faire qui n’est pas décidée à l’avance, mais qui va permettre d’écrire, d’ordonnancer les petits détails qu’un tel ou une telle viendra déposer au CPCT et qui fabriquera ce quelque chose qui va alléger un temps la vie de cette personne.
La présence du praticien au CPCT est exigeante. Il s’agit d’une présence qui ne sait pas ce qu’elle accueille et qui mise sur ce qui va se produire. Nous ne savons pas a priori comment nous allons faire, nous n’avons pas de protocole écrit à l’avance. Nous inventons un refuge qui ne soit pas un refus des autres, nous inventons quelques solutions qui peuvent être temporaires ou plus durables, avec chaque personne. L’année dernière j’avais été sensible à une formule entendue lors de notre journée de formation : un intervenant parlait des « isolés durables », expression qui correspond à bien des personnes reçues au CPCT. Ces isolés durables, s’il n’y a personne pour les faire transiter, leur offrir un viatique pour arriver quelque part, ils s’égarent ou retournent à leur isolement. C’est pourquoi je souligne ce « accompagné ».
La nécessaire légèreté de l’institution est corrélée au sérieux de la présence. Pouvoir supporter de ne pas décider à l’avance de ce qui va se produire, ou de ce qu’il conviendrait de faire est une conséquence du sérieux de la présence. Nous inventons tous les jours le CPCT.
Bien sûr le plus grand nombre de traitements sont des traitements dits classiques, pour ceux qui peuvent changer d’interlocuteur. Une fois passé le sas de la consultation, ils peuvent s’adresser à quelqu’un d’autre et porter leur demande au-delà du CPCT. N’oublions pas que ce passage peut se faire si quelqu’un, un travailleur social, a déjà été un « passeur ». Pour les autres formes d’usage du passage au CPCT nous les appelons « traitements ponctuels ».
C’est cela l’accueil des petits détails : inventer ce qui va se faire. Beaucoup de ceux qui bénéficient du passage au CPCT nous disent qu’ils ont acquis une certaine « immunité » selon la formule de Jérôme Lecaux, ils sont moins maltraités par le monde. Ils trouvent une façon d’être un peu moins hors de leur corps. Nous proposons un lieu spécialement pour une personne, nous inventons des temps éphémères, ou plus ordonnancés, plus ordinaires qui supposent pour les praticiens de « se laisser déranger » avant même de savoir si l’on peut répondre.
Très souvent nous recevons au CPCT des personnes qui ne croient ni pouvoir être entendues ni que ce qu’elles ont à dire puisse être partageable, ni même d’ailleurs qu’elles pourraient le dire. Et pourtant dans les entretiens nous pouvons cerner ce qui tyrannise le plus. Alors se produisent des effets d’allègement. Ce travail ne peut se faire sans les groupes cliniques où chaque praticien est invité à dire ce qu’il fait dans des situations qui lui posent problème.
Ce sont souvent des vies arrêtées, et nous n’avons aucune intention de les remettre sur « une bonne voie ». En mettant en jeu notre présence, nous nous opposons à ce qui se pétrifie dans des vies chaotiques. Nous raccommodons des modalités d’une séparation plus supportable, des modalités de lien souvent extrêmement léger.