Angers a pris son air de festival et cette année encore se pose la question : qu’est-ce qui pousse ces milliers de spectateurs à braver le froid ou à se masser dans le hall du palais des congrès dans l’attente d’une place face à l’écran ?
Bien sûr, il y a les rétrospectives : celles des films des frères Dardenne, de Cristian Mungiu, d’Emmanuelle Devos, l’Altro Cinéma et celle d’une particulière actualité « Face aux pouvoirs » mais surtout ces premiers courts et longs métrages de jeunes cinéastes français et européens, véritable identité du festival, dont la projection est suivie d’une discussion sur un ton bien loin des discours convenus de promotion. Car c’est aussi un festival où l’on parle et où l’on s’enseigne. Depuis cinq ans les psychanalystes de l’ACF-VLB y sont attendus pour ponctuer la semaine par un débat, à chaque fois improvisé, sur « ce qui se dit, ce qui se voit, ce qui s’entend ».
Il s’en dégage une certaine vérité qui bat en brèche autant les certitudes que le voile pudique que l’on pose parfois sur la violence du monde1 et sur la violence propre à chacun qui prend le visage de la haine de l’autre.
Comment filmer cette haine ? O.Glavonic se heurte à un impossible. Sa solution : filmer une atmosphère sur un fond de paysage et faire résonner en off la voix des bourreaux. Dangereuse position politique pour celui qui nous alerte sur un feu toujours prêt à être rallumé2 en Serbie.
Position tout aussi politique que celle de Neil Beloufa, artiste reconnu sur la scène internationale : ici il se risque à explorer les couches successives qui enrobent la vérité dans un jeu avec le faire croire pour mieux dénoncer ceux qui créent de la tension et s’en servent comme outil de manipulation des masses.3
Mais ces jeunes cinéastes manient des genres inhabituels à Premiers Plans : l’humour4, le rire et la parodie5 ou la pudeur6 avec un souci constant d’esthétique pour mieux nous emmener dans un face à face avec la vérité de notre condition humaine. C’est un changement notable dans leur façon de traiter le réel pour mieux nous alerter. Ils cherchent non pas une vérité mais des vérités7. Ils cassent les stéréotypes. Ils refusent l’uniformisation, la normativation. Ils dénoncent toute forme de déterminisme qu’il soit géopolitique, social ou familial. Ils insistent sur le malentendu8 et se gardent d’asséner un prêt à penser. Le spectateur devient partenaire et acteur, renvoyé à sa solitude devant l’écran et à sa responsabilité de jugement et d’acte.
L’être humain, nous dit Julia Ducournau a la responsabilité de transcender le déterminisme et l’atavisme par la parole.9 Ils nous indiquent que le refus de la haine est un choix du sujet10
Et s’il est un espoir qu’ils veulent nous faire partager, comme l’a bien compris le jury en couronnant Hearstone11 film subtil sur le choix d’objet à l’adolescence, c’est celui qu’on puisse accepter le soi-même dans son étrange singularité et l’autre dans sa différence.
Un espoir adapté précise Grand Corps Malade qui depuis son accident s’essaye à traiter ce réel par l’écriture concluant ainsi son expérience de fiction « le film est un sport d’équipe », solution sinthomatique pour celui qui avait abandonné tout espoir d’en faire.
Cette année encore ces jeunes cinéastes, acharnés à ne pas céder sur leur désir, nous ont impressionnés en parvenant à faire sortir les spectateurs de leur zone de confort.12 Et c’est une position éminemment politique.
1 La rédaction du magazine du Festival
2 Ognjen Glavonic – film Depth Two– Serbie
3 Neil Beloufa – film Occidental – France
4 Fabien Marsaud et Mehdi Idir – film Patients – France prix du public
5 Gabriele Mainetti – film On l’appelle Jeeg Robot – Italie
6 Lidia Leber Terki – film Paris la Blanche – France, Algérie- débat avec l’ACF-VLB
7 Morgan Simon – film Compte tes blessures – France
8 Vallo Toomi – film Pretenders – Estonie
9 Julia Ducournau – film Grave – France
10 Raul Arevalo – film La colère d’un homme patient – Espagne
11 Gudmundur Arnar Gudmundson – film Heartstone– Islande prix du public
12 Thibault Bracq, programmateur, débat avec l’ACF-VLB