Impossible de lire « L’étourdit » sans y mettre très sérieusement du sien. « Pourquoi est-ce si compliqué ? » – se demande-t-on. Jacques Lacan lui-même nous a livré plus d’une piste à ce propos. Dans « La science et la vérité », il posait la question en ces termes : « pourquoi ne dit-il pas le vrai sur le vrai ? »1 Dans « L’étourdit », où il martèle la place centrale du dire dans les-tours(-du-)dit que constitue une analyse, il la reprend ainsi : pourquoi n’y aurait-il pas de « dire direct »2 ?
Faufilons-nous en rappelant le hiatus entre le dit (l’énoncé) et le dire (l’énonciation), mis à l’honneur dans cet écrit. C’est l’objet d’une psychanalyse que d’épeler, de peler les dits, les mots, qui ont compté dans la vie d’un sujet. Mais pour avoir chance de conquérir une marge de liberté par rapport à un dit qui nous a marqué, encore faut-il resituer à sa place le dire qui l’accompagne – qui parle ? que dit-il, que (me) veut-il en disant cela ? en quoi est-il intéressé dans cette affaire ? Nommer ce dire, c’est approcher le désir à l’œuvre, débusquer la jouissance en jeu.
Or ni le désir ni la jouissance ne se laissent tranquillement attraper comme un « contien », quelque chose qu’on tiendrait (bêtement) en main une fois pour toutes. Cachés, censurés, refoulés, déniés, déguisés… l’un comme l’autre s’avoue au détour d’un lapsus, se déniche dans les ruses de la répétition, tout en fuyant dans les filets du sens.
Tandis que le « dire direct », soit « dire ce qu’il y a », Lacan précise que c’est l’apanage du discours du maître, relayé par celui de la science. Car en psychanalyse, poursuit-il, « ce qu’il y a, n’a d’intérêt qu’à devoir être conjuré »3 ; l’inconscient est fêlure, rature, achoppement, contradiction, « reprise en négation » ; c’est vouloir et ne pas vouloir ça, le vouloir coûte que coûte et s’en défendre de toutes ses forces. Comme le désir, la place du dire – jamais garantie – est à l’enseigne du il n’y a pas…, du « NYA », selon la graphie osée par Lacan ici.
Philippe La Sagna l’a souligné dans son Séminaire à l’ECF, « L’étourdit » confronte son lecteur à ce qui fait la matière même d’une analyse, ses équivoques, ses fulgurances, ses avancées et, surtout, ses embrouilles. Le dire n’est pas de l’ordre de la vérité ; toujours à côté, en deçà, au-delà…, il lui ex-siste. « Le dire, formule Ph. La Sagna, procède du réel » et celui-ci « ne s’atteint que dans les embrouilles que nous fabriquons pour y échapper ».
P.S. : Un SCOOP offert par l’Hebdo-blog – Un numéro hors série et très spécial de La Cause du désir est dans les tuyaux. Vous y découvrirez bientôt un commentaire époustouflant de cette phrase célèbre et opaque de « L’étourdit » : « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. »
1 Lacan J., « La science et la vérité », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 867.
2 Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 453.
3 Ibid., p. 454.