J’ai décidé d’être heureux,
Parce que c’est bon pour la santé.
Voltaire
Soyez optimiste ! Le bonheur pour tous définit l’orientation tendance du sujet contemporain[1], de Pharrell Williams[2] le monsieur happy des tubes anti-morosité[3] aux réseaux très en vogue de la « positive thérapie ». Doit-on y voir une classification marketing (le bonheur ça rapporte) ou une émergence d’un réseau illustrant une Autre satisfaction ?
Le mot « optimisme » (du latin « optimus », le meilleur) a été forgé au milieu du XVIIIe siècle avec Leibniz pour qui les hommes vivaient dans le meilleur des mondes possibles. Il fallait alors se tourner vers l’avenir : le progrès devenait irréversible et prévisible.
La ligue des optimistes[4]
Créée il y a huit ans en Belgique par un ancien avocat d’affaires, elle a pour but de créer un nouvel État, l’Optimistan : un pays métaphorique dont les optimistes seraient les citoyens. Il a une chorale où le bonheur se chante, des filières voient le jour un peu partout dans le monde. Une structure internationale, des conférences, une lettre hebdomadaire, des parapluies, pin’s et parfums font l’éloge du label ! L’optimisme glisse sur la vague de la morosité ambiante. À l’image d’un club sportif, la ligue des optimistes est très active dans son soutien au discours capitaliste.
Optimiser la jouissance
Jacques Lacan nous éclaire sur les modalités de satisfaction actuelles : l’Autre satisfaction. « Tous les besoins de l’être parlant sont contaminés par le fait d’être impliqués dans une autre satisfaction » et « la jouissance dont dépend cette autre satisfaction [est] celle qui se supporte du langage »[5]. Ainsi, puisque la satisfaction dépend de la réponse de l’Autre, elle est liée aux signifiants de la réponse en tant que signes d’amour. L’optimisme y trouverait là sa place et ses signifiants : bonheur et plaisir optimal !
Faute de pouvoir jouir du rapport sexuel qui n’existe pas, l’être parlant jouit des universels. Jacques-Alain Miller indique que le lien social peut faire fonction de tampon[6]. L’Autre satisfaction est celle de la communication, c’est une jouissance communautaire qui permet de se situer les uns par rapport aux autres… Au mieux il s’agirait d’optimiser cette jouissance.
Le lien à la communauté de ces optimistes engagés leur permet de trouver un « style de relations » où les codes identificatoires ont leur importance. Façon nouvelle d’être représenté pour l’Autre : « Optimistes ! Positivez, tout va bien ! » Ou encore « Positifs, Il faut optimiser! »
Le 5HTT : le bonheur est une affaire de longueur …
Face à l’injonction de l’optimisme pour tous, morale et désir sont ravalés par la science au rang du « 5HTT »[7]. Dans un article de Sylvie Déthiollaz (docteur en biologie moléculaire), publié dans la revue « Prolune », l’auteur pose la question : « 5HTT : et si le bonheur était affaire de longueur ? »[8] Une étude menée par une équipe de chercheurs du King’s College de Londres démontre que ce gène confère une aptitude à faire face aux aléas de la vie, proportionnellement à sa longueur. La clé du bien être serait génétique, occultant toute question subjective liée au fait d’être « fatigué, déprimé, pessimiste »[9]. Le bonheur qui se mesure, peut être appuyé sur un dosage médicamenteux. Le bonheur se prescrit…
Dans la même logique, la chaîne de confiserie espagnole Happy Pills a enrichi l’univers des bonbons gélifiés en vrac en puisant dans trois univers : la pharmacie, la drogue et l’art contemporain. Les bonbons curatifs détournent les codes pharmaceutiques. Le client devient prescripteur de ses pilules du bonheur. Les commerces, lieux de pharmacies gourmandes, empruntent également leurs codes à l’univers de la drogue. Le produit se vend au gramme près. Sous couvert d’humour, le client est encouragé à transgresser pour un brin d’optimisme et un bonheur assuré. À confondre une santé qui s’achète avec la promesse du bonheur, le mot d’ordre est bien : jouis !
La qualité de vie où bonheur, satisfaction, optimisme trouvent à se loger, apparaît comme un maître mot d’une nécessaire « conversation permanente » autour d’un impossible à collectiviser, comme l’a indiqué Éric Laurent[10].
À déjouer ces propagandes imaginaires, la psychanalyse délie des lendemains qui chantent, leur préférant les inventions singulières du sujet. Une prescription sur mesure qui ne se vend pas en pharmacie.
[1] Happy Show, La Gaîté lyrique, 3 bis, rue Papin, Paris 3e, 28 novembre 2013 – 9 mars 2014. www.gaite-lyrique.net
[2] Ghosn J., « Pharrell Williams, rendez-vous avec Mr. Happy », Obsession n° 17, avril 2014.
[3] Get lucky, avec Daft Punk, Blured lines avec Robin Thicke.
[4] Site « La ligue des Optimistes », fr.optimistan.org/, www.liguedesoptimistes.be
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 49.
[6] Miller, J.-A., « L’orientation lacanienne. Le partenaire-symptôme », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 14 janvier 1988.
[7] 5HTT est une protéine qui influence la capacité à gérer les difficultés. Le promoteur du gène 5HTT existe en deux versions (courte ou longue). La version longue permet une production plus élevée de la protéine.
[8] Déthiollaz S., Revue Prolune n° 10 (protéines à la une), « 5HTT, et si le bonheur était une affaire de longueur ? », septembre 2003.
[9] Hariri A. R. et al., « Serotonin Transporter Genetic Variation and the Response of the Human Amygdala », Science 297 : 400-4003 (2002) PMID : 12130784.
[10] Cité par Monique Amirault, site de l’École de la Cause freudienne, in Chroniques Lacaniennes, « La clé du bien être, un bain de jouvence », 2009.