Le travail de l’École passe par le cartel. En lisant ce texte, vous découvrirez comment une première expérience de Plus-Un dans un cartel peut être un moteur puissant pour relancer le désir de savoir.
Ma première expérience en tant que « Plus-Un » d’un cartel s’est faite à partir d’un « pourquoi pas » répondu à un « cherche-cartel ». Une contingence que j’attrapais au vol. Parmi les diverses significations du mot cartel, l’une d’elles ne désigne-t-elle pas une lettre de défi lancée à l’autre ? J’ai pris appui sur la pratique du contrôle ainsi que sur ma propre analyse pour occuper cette fonction.
Le transfert à l’œuvre dans un cartel – transfert à Freud, à Lacan, à l’École, au texte… – est un moteur puissant : d’une rencontre à l’autre, il relance le désir de savoir et le désir de transmission. C’est un transfert où se fait l’expérience de la dimension topologique de l’inconscient, sur laquelle s’appuie l’élaboration collective. Jacques Alain Miller dans ses « Cinq variations sur le thème de l’ Élaboration provoquée » évoque un « travail de transfert de travail »[1]. Renouvelé par le réel en jeu, le transfert qui s’établit au démarrage du cartel est un transfert à l’École et au savoir.
Se laisser enseigner, travailler, surprendre, par nos trouvailles comme par les silences de nos impasses subjectives, a creusé, pour ma part, le lit d’un désir inédit. Le cartel est l’adresse pour y répondre et le lieu pour en faire l’expérience. La traverser comme on traverse l’expérience de l’analyse, l’éprouver, est-ce donc de cela que naît ce désir de transmettre ?
Cette expérience de groupe, où chacun prend une part active à ce qui lui arrive dans l’étude, et prend le risque de prendre la parole, a pour effet de tisser des liens, dans le lien à l’École, entre ces « épars désassortis »[2], et aussi de permettre la production de textes. Chacun peut en renouveler l’expérience en éprouvant la joie de l’étude à plusieurs et en complétant sa formation d’analyste, dont nous avons l’idée qu’elle est infinie. « Car tout en ne s’autorisant que de lui-même, il ne peut par là que s’autoriser d’autres aussi »[3].
Cette expérience permet de sortir de sa propre solitude rencontrée dans la difficulté de lecture des textes lacaniens, et de passer de « lecteur passif » à celui qui répond à l’appel de l’autre et s’autorise à écrire. En effet, la fonction de coupure et d’épure du Plus-Un convoque l’élasticité du transfert hystérique pour que le meilleur puisse se dire de façon « circulaire »[4] (à partir de la base et avec retour à la base) et non de façon pyramidale et hiérarchisée. Pour le dire autrement, avec J.-A. Miller, « l’un vaut l’autre »[5].
Là où se situe la possibilité offerte à chacun d’écrire ses propres textes, issus de dits premiers, de laisser une trace de ses premiers pas, l’École doit advenir. Lorsque les productions d’écrits sont venues border d’un savoir nouveau quelque trou, le rôle du Plus-Un est de soutenir ces productions, d’aider chacun à les réélaborer sans pour autant faire le maître d’école. « Dans un ensemble aussi vaste où faire “reconnaître son travail” […] deviendra toujours plus difficile, ne seriez-vous pas heureux de faire partie d’un petit groupe composé de collègues disponibles […] ? »[6] Le Plus-Un veille aussi au devenir de ces productions. La transmission à l’École est convoquée, ainsi que le lien de chacun à celle-ci, qu’il en soit conscient ou pas.
Le travail de l’École passe par le cartel, que Lacan a voulu être l’« organe de base […] de l’École »[7], dans le sens où le cartel produit des textes qui eux-mêmes produisent l’École. Aussi il me paraît essentiel de témoigner de cette expérience de Plus-Un faite à partir de cet « organe de base ». La mise que chacun consent à faire continue de provoquer la singularité et la discontinuité de l’École elle-même. On n’en aura jamais fini avec le réel !
Le cartel peut rester un lieu où se joue et se rejoue la place à la fois indéterminée et non-fixe du parlêtre, ce sujet que la parole embrouille. La fonction de Plus-Un décomplète et favorise la provocation à l’élaboration de ces jeux- là. Avec J.-A. Miller, « C’est là déplacer le cartel de la logique du tout et de l’exception où il est né (le nom de « plus-un » l’indique assez) à celle du pas-tout »[8].
Alors Plus-Un ou Au-Moins-Un ? La différence, dans la psychanalyse, reste toujours et encore à produire et à inventer. Il y a à parier que son extension et sa présence dans le monde passeront, plutôt plus que moins, par les produits de cartel.
[1] Miller J.-A., Cinq variations sur le thème de « l’élaboration provoquée », intervention à l’École (Soirée des cartels) 11 décembre 1986. http://www.causefreudienne.net/cinq-variations-sur-le-theme-de-lelaboration-provoquee/
[2] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 9 avril 1974, inédit.
[4] Miller J.-A., « Le cartel dans le monde », La lettre mensuelle n° 134, in Le cartel au centre d’une école de psychanalyse : 1994 , op. cit., http://www.causefreudienne.net/cartels-dans-les-textes/
[5] Ibid.
[6] Miller J.-A., « L’École à l’envers : 1994 », in Le cartel au centre d’une école de psychanalyse : 1994 , op. cit.
[7] Lacan J., « D’écolage », 11 mars 1980. http://www.causefreudienne.net/cartels-dans-les-textes/
[8] Miller J.-A., Cinq variations sur le thème de « l’élaboration provoquée », op. cit.