Depuis toujours existe un lien entre dire et faire. Il revient au philosophe analytique John Langshaw Austin de révéler la parole performative lors de la publication en 1962 des douze conférences prononcées en 1955. L’éditeur français de Quand dire, c’est faire attire notre attention sur le titre original How to do Things with Words avec cette touche ironique concernant les livres de conseils pratiques, par exemple : How to make Friends [1].
Le dico ergo sum, « je suis ce que je dis », que Jacques-Alain Miller nous invite à mettre au travail lors des prochaines Journées, s’énonce tel un performatif. J. L. Austin a démontré comment « dire une chose, c’est la faire » et « où par le fait de dire [by saying], ou en disant [in saying] quelque chose, nous faisons quelque chose » [2]. Le terme performatif, dérivé de l’anglais perform signifiant action, est utilisé pour la première fois par J. L. Austin.
J. L. Austin indique comment dire, c’est accomplir un acte. Il précise que cet acte de parole s’énonce avec une voix active, à la première personne du singulier, au temps de l’indicatif présent [3], voire de l’impératif parfois réduit à des mots efficients comme « “Coupable !” quand je juge, ou “Éliminé !” pour un joueur » [4]. Mais cet acte de langage dit « illocutoire » repose sur une convention, c’est alors un acte social qui peut avoir une valeur institutionnelle par la prise en compte du contexte dans lequel il se réalise. « Ainsi, “Je baptise ce bateau le Reine Élisabeth” a seulement pour effet de nommer ou de baptiser le bateau » [5]. Si effectuer une nomination est un acte illocutoire, affirmer sans attendre de réponse est un acte perlocutoire [6].
J. L. Austin distingue l’acte illocutoire qui « implique la volonté et l’accord du locuteur » de l’acte perlocutoire qui « n’implique pas l’accord de celui qui l’entend », comme le précise Philippe La Sagna [7]. Si dans la performance, qu’elle soit sportive ou artistique, la présence de l’autre est requise, dans ce dico où dire ce que l’on est, c’est être ce que l’on dit, l’adresse à l’autre semble s’être niée. Avec ou sans l’Autre, telle est la question au temps des Uns-tout-seuls.
Avec cette auto-affirmation de soi que le dico « je suis ce que je dis » révèle, l’auto-nomination est sans adresse à l’Autre. C’est un « je » sans « tu » qui témoigne d’un pousse-à-l’Un. Elle exclut aussi la dimension du réel logée dans l’énonciation du sujet qui, de structure, ne sait pas ce qu’il dit quand il parle, ainsi que le pointe Lacan dans sa formule de « L’étourdit » : « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » [8]. C’est un dit sans dire à déchiffrer. Pas d’équivoque ni jeu de signifiant pour ce Un-tout-seul qui erre dans le monde.
Valérie Bussières
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[1] Austin J. L., Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil, 1970, p. 6.
[2] Ibid., p. 47.
[3] Cf. ibid., p. 85.
[4] Ibid., p. 83.
[5] Ibid., p. 125.
[6] Cf. ibid., p. 144.
[7] La Sagna P., « La perlocution, l’humain et les espèces », article en ligne : https://journees.causefreudienne.org/la-perlocution-lhumain-et-les-especes/
[8] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 449.