La fille de Madame B, âgée de 16 ans, a fait plusieurs passages à l’acte. Dernièrement, elle a fugué, mais Madame B n’a prévenu les gendarmes que le troisième jour. « Cette fugue, c’est comme si elle m’avait craché à la gueule », dit-elle. Madame B ne sait pas si elle doit l’écouter, ni lui parler, ou s’effacer. C’est l’assistante sociale du service de psychiatrie où sa fille est hospitalisée qui lui parle du CPCT.
La question de l’urgence subjective se pose donc de manière très singulière pour Madame B. En effet, elle ne concerne pas le danger que court sa fille. Elle concerne ce que sa fille convoque chez elle : une grande mise à mal, et une tendance à s’éclipser. Enfin, notons qu’il lui faut en passer par un autre, l’assistante sociale, pour se saisir de cette urgence.
« Les Légos ont volé en éclats »
Madame est séparée du père de ses enfants depuis six ans. Avant le jugement du divorce, ils s’accordent sur une garde alternée, mais Monsieur noue des alliances dans son dos. Madame prend alors du Lexomil et de l’alcool « pour soulager son angoisse », et est hospitalisée trois jours en psychiatrie. Elle perd la garde de ses enfants : « Le jour de mon divorce, c’est le jour où tous les Légos ont volé en éclats. » Je reprends cette formule pour la questionner, cependant Madame ne peut pas préciser son sens, elle ne semble pas pouvoir être interprétée, ou associée à d’autres signifiants, mais plutôt fonctionner comme une ponctuation du récit, qui enserre un moment de bascule de son histoire. Je choisis d’arrêter la séance sur cette formule. En effet, ce jour-là, c’est l’égo qui a volé en éclat.
« Poser ses valises »
Madame quitte alors la région sans ses enfants. Elle revient plusieurs années après et trouve un poste où elle défend la valeur de la reconnaissance. Pourtant, je choisirais de ne pas reprendre ce signifiant, qui ne suffirait pas à capitonner son rapport à l’Autre. A la maison, elle est sans cesse dans le conflit, elle pense à tout quitter comme ces gens qu’on voit à la télévision. Je prends au sérieux l’importance pour elle de couper temporairement d’avec un Autre qui la destabilise. Madame voudrait enfin « poser ses valises », ce à quoi je réagis ainsi : « Vous posez vos valises au CPCT ». Madame B ne sera absente à aucun rendez-vous.
« Coudre des petits bouts»
Madame a trouvé un certain savoir-y faire avec les autres. Ainsi, elle remarque que sa fille « éclate mais après on peut discuter ». Elle attend donc qu’elle « vide son sac » pour ensuite dialoguer. Elle met aussi de nouveaux outils en place : un tour de table en début de repas pour que chacun s’exprime.
Madame a par ailleurs repris le patchwork. Je relève : « Du patchwork, c’est formidable ! ». Elle précise : « Il faut prendre des petits bouts, les coudre ensemble pour faire un beau cadre ». J’insiste : « Coudre des petits bouts pour en faire quelque chose de beau » ; elle termine : « C’est comme ma vie. Prendre des petits bouts de chacun ». Je lève la séance sur ces mots.
Un rebranchement
« Les liens se font et se défont autrement », dit-elle plus tard. Cela laisse de la place à ses autres enfants : elle évoque en séances les difficultés de l’un de ses fils, et note qu’elle peut parler de tout et de rien avec l’autre. Enfin, Madame va de temps en temps chez une amie, avec qui elle peut parler, ou ne rien dire. Aujourd’hui Madame B manœuvre mieux avec l’alternative qui l’amenait soit à interpréter sans fin l’Autre, soit à se débrancher de lui.
Le parcours de Madame B au CPCT a d’abord consisté à y trouver un abri. Au fur et à mesure des séances, une série d’interventions a visé à capitonner son rapport à l’Autre, sans jamais promouvoir le sens, mais en relevant des points d’arrêt dans sa langue, qui ont permis de retisser son égo. Cela a conduit à la trouvaille sinthomatique « Patchwork », qui ouvre pour Madame B la possibilité de se libérer un peu de l’injonction qui l’amenait à se débrancher. Elle fait usage d’un nouveau savoir-y faire avec sa vie.