Il y a d’abord un acte, celui de décider de témoigner devant le jury de la passe, introduisant une rupture dans le continuum des séances. Juste ou pas, en accord ou pas avec l’analyste, accompagnée ou pas de rêves s’impose l’idée qu’un terme est atteint. La puissance de la parole a été écornée, il faudra faire seul avec ce qui reste de l’opération. Celui ou celle qui demande à « faire la passe » a éprouvé « la puissance de la parole ». Il en a fait son viatique pendant des années, soutenant cette supposition de savoir qui définit le transfert au psychanalyste pour Lacan. Cette parole est prise dans l’amour voire dans son contraire jusqu’à la haine quand le transfert se fait négatif, ce qui pour autant n’invalide pas nécessairement la portée interprétative des dires de l’analysant. Il est préférable que le témoignage de passe en fasse quelque chose pour qu’un enseignement soit envisageable comme issue positive de la passe.
Ce fut d’abord la formidable invention de Freud : « son génie est d’avoir fait de cet obstacle le ressort même de la cure, c’est d’avoir conceptualisé cet amour qui nait du savoir, de l’avoir enchainé, et mis au travail »[1] en inventant cet « opérateur » qui s’appelle l’analyste. Il fallut Lacan pour faire un pas de plus quant au destin du transfert et proposer un dispositif qui put en examiner les effets et les conséquences au-delà de la parole puissante (celle de l’hystoire du sujet comme celle de l’interprétation).
Il est attendu du passant qu’il soit allé au-delà de cette puissance de la parole, un au-delà qui a exploré ce qu’il fut comme objet pour l’Autre, par quelles ouvertures il a dû passer pour entrevoir les circuits pulsionnels qui l’ont embarqué. Il nous apprend aussi la manière dont le corps fut impacté par lalangue et ce que le sujet a pu en faire pour en traiter la jouissance, celle qui entrave le désir, comme celle qui par l’amour condescend au désir. Pas d’autre arme que le bien-dire articulé au transfert pour parvenir à ce point où la puissance de la parole accède à une performance, celle du témoignage de la passe en particulier, faisant valoir le meilleur usage possible du sinthome pour ce sujet-là. Femme ou homme, la passe ne les neutralise pas et fait valoir au contraire comment nous ne sommes pas égaux quant à la position plutôt féminine de l’analyste en fonction. La parole de l’analyste se fait rare pour soutenir la puissance de la parole de l’analysant, à l’interprétation près, plus proche de l’acte que de la parole.
[1] Cf. Miller J.-A., « Une histoire de la psychanalyse », entretien, Le Magazine littéraire, n°271, septembre 1989.