Hebdo Blog : Nous aimerions vous interroger à propos de votre mode de travail en tant que Directeur de ce Congrès. Peut-on considérer que ce travail d’organisation participe de la psychanalyse, et de quelle façon ?
Marcus André Vieira : Nous étions nombreux et nous avons travaillé dur. Tout au long de cette période, m’est revenue cette question : ce travail collectif, intense et militant, pour lequel nous avons à jouer le rôle de trésoriers, de commerçants… Peut-il servir en quelque sorte à notre formation ?
Beaucoup considèrent que ce travail va contre le travail analytique. L’analyste, parce qu’il se tait et se tient apparemment sur sa réserve, devrait jouer un rôle analogue dans la cité. Pour ceux-là, le travail d’organisation d’un événement, par exemple, ne pourrait être qu’un moyen, jamais une fin, ne pourrait être qu’une échelle dans la montée vers l’Olympe analytique d’un dimanche éternel.
Ce que j’ai vécu ces derniers jours m’a démontré tout le contraire. Ceux qui me disent avoir beaucoup appris sont précisément ceux qui ont très souvent accompli des tâches lourdes, mais se sont livrés à elles sans réserve. Ils n’ont pas considéré ce travail comme aliénant, ne l’ont pas vécu comme une obligation ni bien même, au contraire, idéalisé.
Hebdo Blog : En somme ce n’est pas selon vous un travail qui nous éloigne de la psychanalyse ? Sans doute parce qu’il s’agit d’y mettre du corps ?
M. A. V. : Nous nous situons bien souvent à plusieurs de ces niveaux simultanément. Dans ce sens, je nous ai comparés jadis à des saltimbanques, vendant des cacahuètes à l’entrée, participant ensuite au sérieux du travail épistémique pour mettre finalement un tablier et balayer la scène. Je ne vois pas pourquoi ce travail serait incompatible avec l’inconscient. Au contraire, il peut y contribuer. C’est ce que j’ai vu dans nos commissions.
Mais comment cela se fait-il ? C’est un mystère. Encore un des mystères du corps parlant dont il a été fait état ces jours-ci. En quoi notre plongée dans des travaux si pratiques, avec son urgence propre, peut-elle contribuer à nous rendre plus proches de la psychanalyse quand il semble à première vue que ce travail ne ferait que nous voler de ce temps précieux consacré à la lecture et à la réflexion ?
Je me suis souvent souvenu des dernières phrases de la « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI » si bien commentées par J.-A. Miller, et dans lesquelles Lacan souligne : « Je signale que comme toujours les cas d’urgence m’empêtraient pendant que j’écrivais cela. »[1] Je me rappelle que ma réaction lors de ma première lecture a été : « Ah ! Lui aussi ! »
Et vous devez vous rappeler qu’il nous indique qu’il écrit pour « faire paire »[2] avec les cas d’urgence, se mettre au diapason avec eux. Suivant cette idée, je dirais que notre travail est anti-analytique uniquement lorsqu’il ne présente rien de la jouissance singulière de notre sinthome. Comme sa présentation est toujours de l’ordre de la contingence, de la surprise, on peut dire que c’est en nous laissant surprendre dans le travail que l’on sort de la tendance à le prendre du côté du fantasme : sacrifice obsessionnel ou plainte et demande d’amour hystérique. Si nous avons pu créer une telle ambiance de travail ces jours-ci, il me semble que c’est parce que quelque chose dans ce sens s’est produit, davantage que dans la vie de tous les jours.
Hebdo Blog : Cette tâche d’organisation a coïncidé avec votre mandat d’AE. Pouvez-vous nous dire quelque chose de cette simultanéité ?
M. A. V. : Mon temps de transmission comme AE a, en effet, presque coïncidé avec les années de préparation du Congrès, et il a été très agréable de me laisser surprendre avec les collègues, de découvrir de bonnes et de mauvaises compositions de travail dans la conjonction des sinthomes que s’y retrouvent. N’est-ce pas cette prise d’une vivace étrangeté sur le corps, cette sur-prise qui fait que nous restons des analysants, y compris quand il ne reste plus beaucoup à analyser de nos fantasmes ? C’est ce que j’ai éprouvé non seulement dans mon enseignement d’AE mais aussi dans la préparation de ce Congrès. Cela m’a aidé d’ailleurs à ne pas trop m’asseoir sur l’escabeau de l’AE.
[1] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Seuil, 2001, p. 573.
[2] Ibid.,