Lors d’une récente discussion téléphonique avec une collègue, alors que nous évoquions la mesure de confinement prise par le gouvernement français pour endiguer la pandémie de COVID-19, me vint à la bouche le mot de confination à la place de confinement. Surpris, nous nous sommes mis à rire, en nous disant que le terme confination venait probablement par glissement de confirmation, une confirmation de la gravité de l’épidémie dont nous étions justement en train de prendre la mesure. Ajoutons que confination est un mot très ancien qui signifie borne, limite.
Je n’étais que partiellement satisfait de cette première analyse, et d’autres mots me sont alors venus à l’esprit, en particulier contamination et fascination, confirmant que ce trébuchement langagier tournait autour de cinq signifiants : confinement, confination, confirmation, contamination, et fascination. Le dernier, fascination, ne me plaisait pas beaucoup, mais témoignait néanmoins de ma division devant le surgissement baroque de ces images de corps contaminés relayées jour et nuit sur les chaînes d’info.
Ce trébuchement mérite d’être entendu comme un lapsus, à savoir, pour reprendre une formule récente de Jacques-Alain Miller, « l’émergence inopinée, incongrue et involontaire de certaines pensées secrètes agissant un sujet dans son for intérieur » [1].
Le lapsus est assimilé à une révélation et, en tant qu’analystes, nous invitons, celui ou celle qui vient de trébucher dans sa langue, à faire confiance à ce phénomène, et à se laisser enseigner par ce qui en peut en ressortir. Raison de plus pour pousser mon analyse un peu plus loin, et réaliser que le trébuchement confinement/confination relevait du rapport masculin/féminin : le confinement étant du genre masculin, alors que la confination, elle, s’entend au féminin.
Autrement dit, ce lapsus témoigne que dans cette crise, c’est mon ego qui en a pris un coup, c’est lui, en tant qu’ego narcissique, rapportable au corps, qui se trouve entamé dans sa vitalité et son identification phallique.
Dans ce début d’analyse où les signifiants s’enchaînent sans que je sois vraiment en mesure de saisir de quoi il retourne, une formule de Lacan m’est venue à l’esprit, concernant le « désordre au joint le plus intime du sentiment de la vie » [2], mais c’est une proposition qui ne convient pas à mon cas, tant le terme de « désordre » répond ici à l’absence radicale de la signification phallique. Non, ici, le phénomène relève plutôt de la compulsion à penser, à aligner signifiant sur signifiant, de façon à épauler l’ego phallique affecté, et à cerner par le symbolique le réel de la crise pandémique qui non seulement échappe au discours et au chiffrage, mais qui déloge le sujet « et de son mode de jouir pulsionnel, et de l’Autre qui a disparu » selon la formule de Marie-Hélène Brousse dépliée dans « Ville vide » [3].
En même temps que j’essayais de « vérifier » ces affects pour en extraire un savoir-faire, j’ai lu avec intérêt la chronique d’Hélène Bonnaud « Familles, questions cruciales », dont j’extrais sa réflexion sur la solitude tant elle m’a paru en résonance avec mes questions : « Le confinement convoque chacun à trouver la bonne distance avec son sentiment de solitude. » [4]
J’aime cette formule « d’être convoqué à trouver », sans doute parce qu’elle remet en fonction un Autre symbolique efficace, auprès de qui me faire entendre. Et parce qu’elle remet au centre de notre réflexion une solitude qui ne va pas sans l’Autre. Bien entendu, la réponse n’est pas la même selon que l’on se range du côté féminin ou du côté masculin, mais il s’agit pour chacun de trouver un nouvel arrangement entre confinement et atteinte phallique, vide et angoisse.
Ces nouveaux arrangements, chacun peut vérifier qu’ils ne sont pas sans susciter de l’angoisse, et justement, dans son Séminaire L’Angoisse, Jacques Lacan nous a incité à vérifier que l’angoisse n’est pas sans lien avec la demande de l’Autre.
Et finalement, qu’est-ce qui m’empêche encore de voir que mon lapsus est une réponse au second degré à la demande injonctive de l’Autre : « Restez chez vous » ! Ici, nul doute que l’Autre veuille mon bien – je n’adhère en rien au complotisme –, mais justement on sait que l’insistance de l’Autre à vouloir mon bien peut générer de l’angoisse, et je dirais maintenant que face à cette injonction à laquelle je dois bien consentir, le lapsus, comme le rêve, reste un espace de respiration, qui me permet d’introduire de l’équivoque là où, justement, est attendu un oui sans arrière-pensée.
Autrement dit, face au goût amer que les mesures de confinement nous laissent dans la bouche, mon lapsus témoigne de la place excentrique qu’occupe le désir, dont Lacan nous a justement appris qu’il ne relève pas d’une fonction biologique…
[1] Miller J.-A., « DSK, entre Éros et Thanatos », Le Point, 19 mai 2011, disponible sur internet.
[2] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 558.
[3] Brousse M.-H., « Ville vide », Lacan Quotidien, n°878, 4 avril 2020, publication en ligne (www.lacanquotidien.fr).
[4] Bonnaud H., « Familles, questions cruciales », Lacan Quotidien, n°877, 30 mars 2020, publication en ligne (www.lacanquotidien.fr).