L’Hebdo-Blog : Il pourrait paraître étonnant, alors que notre champ est engagé, à la suite de l’enseignement de Jacques-Alain Miller, dans l’étude du tout dernier Lacan, de faire un retour[1] au Séminaire IV qui pourrait apparaître comme classique, tourné vers le rôle du symbolique, celui du phallus également, notamment dans la dialectique entre l’être et l’avoir, dans le lien entre la mère et l’enfant.
Pouvez-vous nous expliquer comment l’idée vous en est venue, et, sans dévoiler le contenu de votre enseignement, en quoi ce séminaire est « déjà un séminaire sur la jouissance », pour reprendre les mots de votre argument, et comment le corréler au manque d’objet et à la question du désir ?
Pierre-Gilles Guéguen : Il est exact que Jacques-Alain Miller nous guide dans le dernier Lacan. Mais en même temps il s’agit pour nous de ne rien abandonner de Lacan et de ne pas se laisser séduire par un chronologisme qui n’aurait pas lieu d’être. Le dernier Lacan n’invalide en rien le premier. J’ai choisi le Séminaire IV sur la relation d’objet car il correspond à un moment très clinique de l’enseignement de Lacan où il commence à proposer les éléments d’une logification de la clinique, sans avoir encore complètement à sa disposition les outils que lui donneront bientôt la linguistique structurale, celle de Jakobson notamment.
Par ailleurs il nous oriente dans des cas véritablement complexes dans lesquels les frontières entre névrose, psychose et perversion sont poreuses. Ainsi par exemple en va-t-il du cas de la jeune homosexuelle, du cas de Sandy la jeune phobique, du cas de Hans tout spécialement, qu’il développe avec une inventivité inouïe. Mon ambition serait de pouvoir relire ce Lacan qui émerge alors de sa période de « retour à Freud », avec les outils que nous propose le Lacan d’après la césure de « Radiophonie », moment où il s’éloigne de sa période structuraliste
H.-B : En 1956, dans le Séminaire IV, Lacan avance et travaille dites-vous avec des concepts qui sont encore ceux de la psychanalyse de son époque. Il n’hésite pas à discuter les concepts de l’IPA, à partir de sa clinique. C’est un Lacan pragmatique, soulignez vous. Pouvez-vous nous en dire plus ? Avez-vous l’idée que ce pragmatisme est l’indice de son souci de cerner un réel dans l’expérience analytique, notamment sur la question de l’image et du narcissisme (vous évoquez la clinique contemporaine et « le renouveau des pathologies nécessitant un « raboutage » de l’imaginaire ») ?
P.-G. G. : Certainement. C’est justement l’objet d’une lecture rétroactive (Nachträlich) : nous pouvons relire ce Séminaire avec les concepts apportés ultérieurement notamment ceux de jouissance et de réel. Au passage nous nous servirons de ce que le cours de J.-A. Miller et les recherches d’UFORCA nous permettent de mieux appréhender aujourd’hui. Alors qu’on voit une certaine clinique s’égarer dans des inventions du type « pervers narcissiques », alors que le DSM s’effondre, nous sommes mieux à même grâce au dernier Lacan et notamment à partir du séminaire sur Joyce de savoir que l’image de la bonne forme ne résout pas toutes les questions cliniques. Le livre publié par E. Laurent, L’envers de la biopolitique nous est également d’un précieux recours sur ce point et bien d’autres.
H.-B. : Le séminaire IV est en somme un séminaire très actuel, pouvez-vous nous dire en quoi il anticipe en particulier sur les questions contemporaines concernant la famille ?
P.-G. G. : Ce qui est actuel c’est la clinique. Ce qui est passionnant dans ce Séminaire c’est que Lacan n’évite aucune des difficultés qui se présentent tant dans la définition de l’objet ou dans la reconsidération de l’amour, que dans la remise à jour de la question de la perversion et du fétichisme. Loin de répéter Freud, il creuse au contraire les paradoxes que Freud lui-même avoue à la fin de sa vie ne pas avoir résolus, concernant notamment la castration. Bien évidemment la famille en tant qu’idéal social de l’époque victorienne en prend un sacré coup. On peut dire que c’est une anticipation non seulement de Lacan mais de Freud lui même.
Je voudrais ajouter que la lecture de ce Séminaire est particulièrement destinée à ceux des plus novices qui l’abordent pour la première fois et les inviter à ne pas craindre de poser les questions qui leur viennent à l’esprit.
[1] Le cours de Pierre-Gilles Guéguen se tient au local de l’ECF les mardis 21 février, 14 mars, 18 avril, 16 mai et 13 juin 2017, CF http://www.causefreudienne.net/activites/en-regions/grand-paris/