Cette jeune femme de 20 ans suit une formation pour devenir enseignante et peine grandement pour travailler et apprendre.
Sa difficulté se décline selon de nombreux axes qu’il me fallut questionner pour débroussailler la plainte et entendre la façon dont elle pouvait nommer ses entraves.
Car c’est aussi bien une difficulté à « s’y mettre », le temps limité des épreuves qui « la bloque » et « quand ça se débloque, c’est trop tard », des révisions qui se font « dans l’urgence », « au dernier moment », « l’impression de devoir tout savoir », et la certitude que, lorsqu’un énoncé ou un exercice semble trop facile, c’est forcément « qu’il y a un piège ».
Elle dit qu’elle « fait les choses le couteau sous la gorge » et qu’elle éprouve souvent un « sentiment d’inachèvement ». Précisons que ce qu’elle appelle « sentiment » trouve une illustration très concrète puisqu’il lui y arrive de rendre une dissertation sans développement ni conclusion, voire de décider de ne pas rendre sa copie du tout lorsqu’elle estime qu’il y manque une partie. Elise n’arrive pas à finir.
C’est de sa mère qu’Elise parlera le plus souvent. Une mère qui la frappait, brillait par ses absences, l’insultait. Liant ses difficultés à travailler et sa relation à sa mère, Elise dit lui en vouloir de ne pas l’avoir aidée à travailler et de ne pas s’être inquiétée de ses mauvais résultats à l’école. Si elle dit les avoir cachés « pour être tranquille », on ne peut que constater que ces mauvais résultats étaient suffisamment visibles pour faire venir la mère. Mère féroce, mais mère présente quand même.
Elise guettait l’inquiétude de sa mère qui n’arrivait jamais. Elle attendait aussi un brin de savoir de cette mère lettrée, professeur d’histoire.
Vient-elle présenter ses difficultés, réitérées chaque semaine, pour obtenir l’inquiétude de l’Autre, un Autre qui l’a plongée dans un impératif à savoir travailler ? Se sabote-t-elle pour rester dans la botte de la mère et continuer à être dénigrée ?
Un jour, elle m’amène l’une de ses copies où elle a obtenu une mauvaise note. Je la garde. « De toutes les façons elle allait partir à la poubelle » me dit-elle. Je lui réponds qu’ainsi elle n’ira pas.
C’est à ce moment qu’un léger changement s’opéra. Il me semblait qu’Elise ne venait plus me présenter ses tourments avec la même vigueur. Qu’elle ne surenchérissait pas à chaque fois que j’intervenais pour me décrire dans le menu détail les coups et les insultes de sa mère. Elle était allée lui rendre visite. De son séjour, elle gardera les traces d’un étonnement qui perdure encore : sa mère vivait au milieu de détritus.
Dans les séances qui suivirent, Elise ne se présentera plus tout à fait de la même façon dans le tableau qu’elle dépeignait d’un enfant battu, dénigré, laissé tombé par la mère.
Mais l’application qu’elle avait à décrire ses difficultés à travailler perdura, avec quelques variations. Elle isola par exemple la dimension de la surprise : lorsqu’elle réussissait un examen, c’était toujours surprenant. Cela semblait être à la condition qu’elle se dise qu’elle ne savait pas. Sa peur de réussir semblait aller de pair avec la peur de ne pas savoir.
Dans ce programme où savoir et apprendre à travailler est la déclinaison du surmoi, l’incomparable d’Elise est cette position de refus. C’est là où le sujet se dit le plus intimement. Laisser son travail inachevé, l’un de ses symptômes, est aussi l’une des composantes de nos rencontres. Une combinaison détonante dans le transfert…