« Nous allions dans la lune pour étudier des tas de cailloux, mais nous ne savions rien du nouveau-né ! Nous ne l’avions jamais vu sourire. »[1] Bernard This
S’attacher aux mots qu’on adresse aux enfants à naître, aux bébés, aux tout-petits, s’intéresser à leur corps et à leurs souffrances sans pour autant négliger leur santé, à la façon dont on les porte et les supporte, mais aussi à leurs parents, toute sa vie, Bernard This a fait ça. Il a d’ailleurs commis une quinzaine d’ouvrages, dont certains à succès, ou d’articles importants qui rendent compte de sa recherche et de son action.[2]
Orienté par sa propre analyse et l’enseignement de Lacan, il a ainsi, avec Françoise Dolto notamment, provoqué une extension du champ analytique à ceux qui n’ont pas encore la parole et qui pourtant sont des êtres de langage, dès le départ, pris dans une construction familiale plus symbolique que biologique, il intégra dans ses investigations la vie in utero.
Le Groupe de Recherches et d’Etudes sur le Nouveau-Né, (G.R.E.N.N.) fondé sous son impulsion et celle de Danielle Rapoport, a commencé à se réunir au moment où Frédérick Leboyer publiait « Pour une Naissance sans violence » en 1974, thème qui a trouvé son application à la Maternité des Lilas.[3] Bernard This était lui aussi un militant de l’accouchement sans violence, il a favorisé le développement de l’haptonomie en France et les femmes lui doivent beaucoup. Le G.R.E.N.N., Groupe de Recherche pluridisciplinaire sur la Naissance et le Nouveau-Né, réunissait des accoucheurs, des sages-femmes, des pédiatres, des psychiatres, psychologues et psychanalystes, des éthologues, des sociologues, des spécialistes en physiologie humaine ou animale…[4]
Quand, en 1979, Dolto a fondé La Maison verte, Bernard This était de la partie. F. Dolto disait de son invention : « Ici, c’est bête comme chou : on s’assied et on cause ».[5]
Dans ce dispositif inédit, léger, les petits enfants et les adultes qui s’en occupent, ainsi que les femmes enceintes qui le souhaitent sont accueillis avec la participation de psychanalystes. L’initiative a fait un tabac auprès des jeunes parents en mal d’interlocuteurs à l’ère de la famille nucléaire. Les bébés et tout-petits y trouvent aussi leur compte en échappant au regard maternel et en nouant de nouvelles relations, en élargissant leur horizon.
Avec quelques collègues, psychanalystes membres de l’ECF, ou analysants, quelques amis travailleurs sociaux et enseignants[6], nous nous sommes engagés à notre tour dans cette aventure en créant dans les années 1988, à Saint-Quentin et à Laon, La Petite Maison 0uverte (PMO) « lieu d’accueil pour les petits enfants de 0 à 4 ans accompagnés de leurs parents ». Sans reprendre à la lettre les consignes de fonctionnement de F. Dolto, nous avons adopté les principes qui nous semblaient conditionner l’intérêt de ces « maisons » : anonymat, pas de dossier, pas d’activités organisées, juste un lieu, collectif, pas de consultations, pas de visée adaptative ni éducative, juste des temps d’ouverture, des jouets et des accueillants disponibles pour échanger avec des petits enfants et les adultes qui en ont la charge avec le projet de traiter des souffrances inutiles comme le disait Dolto. Notons que La Petite Maison Ouverte de Saint-Quentin est toujours en activité. Ces maisons se sont multipliées en France, à chaque fois nées du désir de quelques-uns. Cependant, elles sont aussi devenues victimes de leur succès, quand des administrations ont entrepris d’en commander des copies, intégrées à des services sociaux ou de santé, où les accueillants y sont par obligation professionnelle, laissant la psychanalyse loin derrière.
C’est à l’occasion de l’inauguration de La Petite Maison Ouverte que Bernard This a accepté très simplement, comme le font les membres de l’ECF, de venir à Laon, de donner une conférence publique à la MAL sur l’accueil des nourrissons et de visiter le lieu d’accueil. Sa conférence émaillée, comme il en avait coutume, de références mythologiques, en surprit plus d’un par sa fantaisie. C’est ainsi que pour parler de ce qu’il appelait « la sécurité de base » d’un bébé, il sortit tout à coup un poupon de son sac pour nous faire la démonstration de la bonne façon de porter un tout-petit. Il nous accompagna ensuite jusqu’à La Petite Maison Ouverte où nous l’avons retrouvé allongé sur le tapis, en conversation avec quelques bébés. C’était Bernard This, fantaisiste et rieur mais démontrant néanmoins à quel point il prenait au sérieux, l’impact des mots sur le corps dès la conception.
[1] « Naître… et ensuite ? » ouvrage collectif, Les cahiers du nouveau-né 1&2, Stock, 1982.
[2] Citons : Le père, acte de naissance, Éditions du Seuil (première édition en 1980, réédité en 1991), Naître, Éditions Aubier Montaigne (2006), Naître et sourire, Éditions Aubier (première édition en 1972), La maison verte, Éditions Belin 2007).
[3] La Maternité des Lilas, un lieu d’accueil «historique» pour toutes les femmes. Née en 1964, grâce aux fonds privés de la comtesse de Charnière, la Maternité des Lilas est connue dans toute la France pour ses combats en faveur d’une naissance sans violence (méthode Le Boyer) mais également pour son engagement pour la libéralisation de la contraception et de l’avortement, soutenue par Simone Veil. (Voir son site Internet)
[5] F. Dolto, Libres enfants de la maison verte, Retz, 1987, p. 43.
[6] Marie-Rose Alenda-Leclère, Mireille et Philippe Bera, Jean-Claude Encalado, Philippe Hellebois, Françoise Mado, Myriam Papillon, Jean-Philippe Parchliniak, Christian Vereecken, Patricia Wartelle et moi-même.