Après La philosophie dans le boudoir de Sade (2007), Hiroshima mon amour de Duras (2009), Le Banquet de Platon (2012), puis Hinkemann de Toller (2014) – qui a été l’occasion d’une rencontre avec l’Envers en avril dernier, Christine Letailleur s’apprête à mettre en scène Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, au théâtre de la Ville en février 2016. Elle y explore l’amour, le désir, mettant en scène des personnages qui savent (Valmont/Merteuil) ou qui découvrent (Cécile/Danceny) que sexualité et amour ne sont pas du même continent… Christiane Page lui donne la parole :
Le roman de Laclos, que j’avais lu lorsque j’étais au lycée, m’accompagne depuis des années. J’avais l’idée de l’adapter pour le théâtre mais n’y avais pas encore travaillé jusqu’à ma rencontre déterminante avec Dominique Blanc. Je voulais partir de l’actrice, de la figure féminine du récit (Merteuil), pour construire l’œuvre théâtrale et aussi rêver le couple. Merteuil me fascinait, son intelligence, sa lucidité sur son époque ; très jeune, elle a compris que pour vivre sa sensualité et sa sexualité, à l’égale de l’homme, elle devait en détourner, en pervertir les codes. Je voulais un duo d’acteurs avec un charisme à l’image de Merteuil et Valmont. Vincent Pérez en Valmont, jouant les séducteurs, oui, c’était évident et je voulais aussi raconter, avec cette distribution, une histoire de théâtre, celle de ma génération, marquée par les années Chéreau.
Le couple Merteuil/Valmont est un couple très moderne. Après avoir été amants, avoir connu et épuisé tous les plaisirs du libertinage, ils ont décidé de se séparer en restant amis. Un lien de complicité fort – intellectuel et érotique – reste entre eux ; et si chacun va de son côté « conquérir le monde », ils prennent un réel plaisir à se faire le récit de leurs turpitudes et aventures sexuelles. Mais leur complicité n’est pas sans faille et se transforme vite en rivalité. Après avoir manipulé les illusions amoureuses de jeunes gens (Cécile de Volanges et Danceny), la réputation des uns et des autres… les deux anciens amants finissent par se déchirer. À visage découvert, ils se font la guerre jusqu’à ce que mort s‘ensuive.
Les libertins, Merteuil et Valmont, sont un couple qui fascine et nous tient en haleine. Ce sont des héros particuliers. Bien qu’ils manipulent autour d’eux sans scrupule, qu’ils détruisent, ils nous séduisent ; « les monstres » en littérature sont, sans doute, plus attrayants que les sages car ils sont, au fond, terriblement humains. On comprend pourquoi le roman choqua à sa sortie en 1782 et qu’il fut décrié au 19e siècle, il dérangeait violemment la morale et les conventions sociales.
Non seulement Laclos nous rend voyeurs des rapports amoureux de Merteuil et Valmont, de leurs aventures, mais aussi complices de leurs manigances, de leurs roueries, excitant notre désir d’en savoir plus sur leurs agissements. Ainsi, on aime les voir, les suivre dans leurs intrigues respectives… On aime aussi regarder les victimes se lamenter ; entendre les pleurs et les combats de Mme de Tourvel ; la voir sombrer dans la folie et mourir d’amour.
Merteuil nous montre que l’amour n’est peut-être pas ce que l’on croit et nous fait perdre nos illusions. Cécile cède vite aux caresses de Valmont, y prenant goût ; de son côté, Danceny prend du bon temps avec la marquise… »