« L’hystérie, c’est toujours deux, enfin depuis Freud1. » Deux ? L’hystérique et le Père ? Certes plus. Ce deux, nous l’entendons plutôt, avec le tout dernier enseignement de Lacan, au titre de la spécificité du parlêtre : d’une part, il y a l’élément « matériel », le noyau sensible, la substance jouissante, et, d’autre part, le « sens à donner au symptôme »2, qui est un vrai partenaire avec lequel l’hystérique interprète cette matière.
Ainsi l’hystérie doit-elle avoir « son interprétant3 », selon Éric Laurent. Lacan cherche alors, au-delà du déclin de la fonction paternelle, une configuration de l’hystérie sans son « interprétant particulier qu’est Le Nom du Père4 ». Il propose l’« hystérie rigide5 », soit un nœud borroméen qui, sans l’ajout du quatrième terme qu’est le Nom-du-Père, tient tout seul. Mais ce nouage, qui « peut se transformer pour un rien6 » en un nœud de trèfle, a plus à voir avec l’originalité d’une Clarisse Lispector qu’avec la Dora de Freud7 .
Lacan précise en effet que pour opérer le nouage, il faut un quatrième terme.
Alors, l’hystérie, et avec elle le champ des névroses, a-t-elle vécu ? Ou pouvons-nous en étendre notre conception du quatrième à tout principe régulateur de la jouissance par une unité signifiante, divers suivant les époques et les civilisations8 ? Et le cas échéant, qu’est-ce qui fait fonction d’interprétant aujourd’hui ? Dans un monde où s’ouvre le champ des possibles, ce qui se double d’une « crise du vivant9 » et d’un cadenassage des normes, Madame ne rêve plus de la même façon10. Que lui reste-t-il comme vecteur pour situer un sens particulier à la jouissance singulière ? Là où chacun se doit d’inventer sa mesure, le foisonnement des réponses prêt-à-porter laisse souvent en peine. Alors comment se spécifie l’hystérie contemporaine, sauf à dire que ses solutions doivent être inventives ?
À ce titre, peut-être pouvons-nous mettre l’accent sur deux aspects.
Premièrement, la jouissance « au zénith social11 », sous toutes ses formes, n’est-elle pas le signe que le nouage borroméen qui l’enserre est devenu, non pas plus rigide, mais au contraire plus lâche, la castration n’opposant plus sa limite à la faille dans l’Autre12.
Corrélativement, le refus ne se renforce-t-il pas comme modalité radicale de protestation ? Freud, relu par Lacan, nous a en effet invités à considérer dans l’hystérie le rapport de refus à cette part de jouissance ex-sistante, sous les espèces de la jouissance féminine : « Dora souhaite obtenir de Mme K… un savoir sur la jouissance féminine, mais elle ne veut pas la vivre pour son propre compte : trop risqué !13 ». La question est d’actualité : refus du corps, recul de la sexualité, désir d’être machine, etc.
Reste la possibilité de la psychanalyse qui, par le biais de l’amour, s’avère précieuse pour permettre d’accueillir la jouissance !
Anne Colombel-Plouzennec
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 106.
[2] Laurent É., « Le Sinthome. Lacan, Séminaire XXIII », Lectures freudiennes à Lausanne, 2012, disponible sur internet.
[3] Ibid.
[7] Cf. Laurent É., « Le Sinthome. Lacan, Séminaire XXIII », op. cit.
[8] Cf. Deffieux J.-P., « Pragmatique contemporaine des diagnostics », colloque Uforca, 15 juin 2024.
[9] Doucet C., « Psychologie et médecine – Quelle place pour le vivant ? », Psychologues freudiens, 14 mai 2024, disponible sur internet.
[10] Osez Joséphine est le titre d’une chanson d’Alain Bashung sortie en 1991.
[11] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 414.
[12] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, op. cit., p. 13.
[13] Monribot P., « Dora et sa féminité », Blog des J49 – Femmes en psychanalyse, 30 septembre 2019, disponible sur internet.