Madame B., jeune femme de 27 ans, vient au Cpct pour parler de son mari, dont elle vit séparément. En séance, elle relate, dans un débit de paroles ininterrompu, leurs disputes virulentes qui la conduisent parfois aux urgences, puis leurs réconciliations. Elle n’ hystorise pas ce qu’elle dit.
Avant de venir au Cpct, Madame B. dit avoir vécu des « moments difficiles de dépression » et avoir fait des « tentatives de suicide ». Elle ne s’y attarde pas. Elle passe vite aussi sur son enfance : « un père violent et alcoolique qui battait sa mère, une mère qui la battait aussi». Elle évoque tout aussi rapidement son premier compagnon dont elle a eu une première fille à l’âge de 19 ans et leur relation conflictuelle. Elle fait un récit extrêmement confus de l’accouchement douloureux de sa deuxième fille, 6 ans après, et d’une pancréatite simultanée.
Il y a peu de place au doute dans le discours de Madame B. Elle n’a pas confiance en son mari et l’énonce dès ses premières phrases : « Je voudrais tester sa sincérité, le mettre à l’épreuve ». Elle ne veut pas qu’il parle à d’autres femmes, sait qu’il le fait et cherche des « preuves ». C’est une jalousie féroce.
Elle provoque l’acte. Elle se rend au domicile de son mari en son absence, rentre, fouille, il arrive et il la frappe. Une autre fois, elle dit : « Il refuse de garder sa fille, je prends des baffes comme ça !.» Le mot et la chose sont collés. L’énonciation est littérale. Dans les deux cas, elle « se fait » battre. « L’activité de la pulsion se concentre dans le -se faire- » nous indique J.Lacan.[2]
Avec Madame B., il convient « de contrer le réel qu’elle vient déposer »[3] autrement que par le père et le sens, soit par l’objet : la voix. Cette accroche transférentielle est repérable dès le début du traitement. En effet, après une première et brève conversation téléphonique pour décaler son premier rendez-vous, elle donnera mes coordonnées à un médecin urgentiste venu la secourir chez elle afin qu’il me contacte. Plusieurs conversations téléphoniques ont ainsi précédé la première séance de Mme B. au Cpct. Je m’applique en séance à manier l’objet voix, la matière sonore, à distance du sens, par des modulations, et en parlant peu.
Madame B. a « des images dans sa tête » et fait des rêves sombres et mortifères. Elle a affaire à des petits autres persécuteurs, nombreux, aux paroles qui jugent et aux actes violents. Cela reste désordonné, et n’apparaît pas comme un délire construit. Asymptomatique, sans délire, je me tiens au plus près de sa lalangue. Je note ses néologismes : elle a des moments de « bruteur » et elle est en « langots ».
Des signifiants se répètent comme « cœur » décliné dans « rancœur », « ils m’écœurent » et « coup ». Elle relate les « coups de pieds et de …couteaux » de sa mère. Après l’accouchement, elle dit « on m’a coupé de mon enfant ». « Coup de cœur » lie les deux signifiants « coups » et « cœur ». Le « coup de cœur » c’est son mari. « Elle l’a dans la peau » et parle de ses moments de débranchement quand il lui fait un « sale coup », alors elle ne peut plus avancer.
A la suite d’une nouvelle et intense dispute, Madame B. ne dira plus « mon mari » mais « Monsieur B ». Elle le nomme ainsi depuis. Ce signifiant, survenu durant le traitement, lui permet de se présenter elle-même comme « Madame B » et semble faire fonction d’agrafe, lui octroyant une position sociale et un nom propre.
[1] Anna Aromi, Xavier Esqué, Les psychoses ordinaires et les autres sous transfert, Texte d’introduction au Congrès de l’AMP, 2-6 avril 2018, https://congresoamp2018.com/fr/textos, p.1.
[2] Jacques Lacan, Séminaire 11, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, pp 177,178.
[3] Anna Aromi, Xavier Esqué, Les psychoses ordinaires et les autres sous transfert, Texte d’introduction au Congrès de l’AMP, 2-6 avril 2018, https://congresoamp2018.com/fr/textos, p.1.