1) Peut-on parler d’urgences subjectives pour certains sujets qui s’adressent au CPCT ?
Ce n’est pas seulement qu’on peut en parler, mais qu’on doit en parler. Je m’explique. L’urgence ne peut être abordée seulement en terme de conduite. Il n’y a pas, de ce point de vue, certains sujets qui seraient dans l’urgence et d’autres pas.
Je crois plutôt que l’urgence est un point structural très précis : c’est le moment où, pour un sujet, s’est déchirée la trame de ses significations routinières. Quelque chose a fait trou pour ce sujet, pourquoi ne pas dire troumatisme. Et finalement, que se passe-t-il ? Et bien quelque chose de son être, ce qu’il est comme a, se trouve à ne pas pouvoir se dire : le sujet est aux prises avec un réel sans loi. Lacan note cela quelque part – je pense que c’est dans le Séminaire I -, en multipliant les exemples : le mot Signorelli oublié par Freud, l’hallucination du doigt coupé de l’homme aux loups. Où veut-il en venir, se demande-t-il devant son auditoire ? « C’est dans la mesure où l’aveu de l’être n’arrive pas à son terme que la parole se porte tout entière sur le versant où elle s’accroche à l’autre(1). ». En d’autres termes, le point structural de l’urgence est ce moment d’appel, « juste avant l’établissement du signifiant du transfert dans son rapport au signifiant quelconque(2). ». On voit du coup que cette question n’est pas sans rapport avec le Colloque UFORCA du 20 mai prochain qui se déroulera justement sous le titre : « Signifiants du transfert ».
Dans le fond, il faut quelqu’un qui puisse devenir alors le truchement par lequel l’urgence se fait demande, fondamentalement demande d’analyse, par la formation d’un précipité. Cela permet ainsi de situer la fonction analytique. Le CPCT permet qu’à cette urgence réponde cette fonction. D’un point de vue temporel, ce moment structural de l’urgence peut aussi être rapproché de la fonction de la hâte, de celle aussi de l’instant de voir qui fait aujourd’hui notre actualité, à travers les élections à venir. Cela permet de voir comment se croisent temps chronologique et temps logique. Le temps chronologique s’écoule, le temps logique se cristallise autour de nouveaux signifiants, produisant de nouvelles significations comme dans le cas présenté par F. Taouzari.
En fait, en disant tout cela, je m’aperçois qu’on peut dire que le CPCT a fondamentalement affaire, se confond sans doute, avec ce que Freud appelait le début du traitement.
2) En 1966, p. 236 des Écrits Lacan écrivait : « Il y aura du psychanalyste à répondre à certaines urgences subjectives … ». Pourrait-on dire que le psychanalyste au CPCT n’est pas tant celui qui accueille et écoute un sujet – ce que font de nombreux dispositifs d’urgence de nos sociétés contemporaines, – mais celui qui répond au point même où surgit une urgence pour ce sujet ?
Cette citation est intéressante car elle met l’accent, d’une certaine manière, sur la fonction psychanalytique, le « du psychanalyste », comme l’avait fait remarquer Jacques-Alain Miller(3), indiquant qu’il ne s’agit pas des psychanalystes(4). Alors, là c’est un autre pan du problème : la création des CPCT, ça a été aussi le moment d’un dire adressé aux psychanalystes ; quelque chose comme : ça urge à ce qu’il y ait du psychanalyste, sous-entendu : être psychanalyste n’est absolument pas une garantie pour qu’il y ait du psychanalyste, à tel point que Jacques- Alain Miller avait proposé les Journées de l’ECF, en 2009, sous l’accent du devenir psychanalyste, c’est-à-dire rester analysant, position plus prompte à vérifier qu’il y ait bien du psychanalyste. C’est une dialectique très importante qui permet dans les CPCT de vérifier que des effets analytiques, et non seulement thérapeutiques, ont été obtenus pour un analysant.
Pour ce faire, le petit paragraphe dont vous extrait ladite urgence, est enseignant : il s’agit de ne pas perdre la trace de ce que Lacan a instauré : Jacques-Alain Miller nous y aide grandement ne ménageant pas sa peine, comme en 2009. J’avais justement été frappé par l’un de ses propos dans le Journal des Journées où il évoquait justement l’urgence. Daniel Roy l’avait relevé ainsi(5) : « Au traitement de l’urgence, J.-A. Miller substitue le traitement par l’urgence. D’entité morbide à éradiquer, nécessitant des « prises en charge » adaptées, pour reprendre les ritournelles en vigueur, l’urgence se présente alors soudain comme la mobilisation en acte de toutes les forces en présence. À ce moment de « simplification mortelle » que nous évoquons dans l’argument des Journées, en quoi consiste l’urgence, cette formule oppose, par un retournement dialectique, un usage de l’urgence pour y faire surgir une issue qui n’y était pas d’évidence. » Pour ce faire, l’accent est encore mis sur le praticien : pour qu’il y ait du psychanalyste, il faut que le praticien réponde, au sens de se faire responsable de cette urgence… dans une certaine urgence.
C’est un paragraphe qui met aussi en perspective les urgences subjectives à venir : le cas de Fouzia Taouzari témoigne de ces urgences aujourd’hui : ceux qui pensent que l’analyse est une expérience bien confidentielle au regard de l’abord sociologico-statistique, se mettent le doigt dans l’œil. Ce seul cas déplié par Fouzia, jette une lumière bien crue sur les articulations très précises du procès de ségrégation qui s’opère sous prétexte de traitement du chômage. Le sujet est tout bonnement ramené à son isolement radical, sans le secours d’un autre, et à l’insu du plein gré de tous. Il faut, ici que Fouzia glisse l’idée de la radiation pour que la pensée du suicide s’éloigne, maintenant l’action analytique à la hauteur de sa valeur de salut. Il n’y avait pas plus urgent à faire !
1 Lacan J., Le Séminaire, Livre I, Les Ecrits techniques de Freud (1953-54), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1975, p. 59.
2 Miller J.-A., « L’inconscient réel », Quarto n° 88-89, p. 9.
3 Ibid.,
4 Ibid.,