« Souhaitez-vous rencontrer un psychanalyste ? », c’est avec cette question que la présentation clinique est proposée aux patients de l’Institut Hospitalier Soins Études pour Adolescents (IHSEA1). Cette tournure met en valeur le caractère exceptionnel de l’évènement : une rencontre unique.
Chaque jeune hospitalisé dans le service bénéficie d’une attention particulière. Les séances avec les cliniciens et les échanges avec l’équipe soignante rythment le quotidien. Lors de réunions régulières, les cas cliniques sont soumis à une réflexion constante, orientée par la psychanalyse. Une certaine routine s’installe.
Les présentations de malades s’inscrivent aussi dans les habitudes de l’institution. Pourtant, elles s’extraient de l’automaton. Pour le jeune qui s’y prête, une présentation est une contingence : il s’agit d’une rencontre qui ne se répètera pas. Cet entretien exceptionnel n’est pas proposé à n’importe quel moment, mais articulé au fil de la clinique. Pour l’équipe, la présentation ne constitue pas une démonstration de savoir de l’analyste. Ce n’est pas non plus une vérification d’un savoir préétabli par les discussions sur le cas. Cet évènement contient le pari qu’un savoir nouveau puisse émerger. « La seule chose que je puisse apporter, c’est mon ignorance2 », nous enseigne Jacques-Alain Miller à propos de sa position lors de la présentation de malades.
La présentation offre au patient, qui se plie au « hasard d’une épreuve3 », la possibilité de déplier autrement des questions qui se posent à lui. Dans un effort de réduction, elle donne au sujet l’occasion de ramasser son parcours pour mieux en saisir un détail singulier. Comme un exercice de repérage, cela peut servir à préciser la conjoncture d’un évènement qui a provoqué une discontinuité dans la vie. Selon François Leguil, la « présentation enseigne souvent que cerner les phénomènes, c’est-à-dire en approcher la cause, est permettre à un sujet de s’éloigner de l’impossible à supporter afin de pouvoir commencer à parler4 ». Suite au choc disruptif avec un réel, il s’agit d’en passer par la parole pour tenter de s’orienter.
Points d’appuis, essais de nouage, tentatives de reconstruction « à partir des “débris” du délire après un moment de déclenchement5 » … autant de manières pour un sujet de traiter un réel auquel il a affaire et qu’il peut transmettre lors de cette rencontre unique. Cela donne aussi l’opportunité au jeune patient de témoigner d’un petit bougé ou d’une trouvaille qu’il aurait faite lors de son hospitalisation. À partir de l’effet d’une surprise, une façon de dire autrement – un bien-dire – peut advenir. Faire place à l’inattendu lors d’une présentation sert à en tirer les conséquences pour l’orientation du traitement d’un patient.
Pour leur part, les jeunes de l’IHSEA parlent entre eux de la présentation de malades : ils l’appellent leur « conférence ». Le mot passe entre eux : à qui le tour ? C’est ainsi qu’ils s’approprient cette pratique. Les patients savent qu’ils auront affaire avec un « public », constitué de soignants et de gens en formation : c’est à eux de transmettre. Il n’est pas rare qu’un patient demande s’il a « bien parlé » lors de l’entretien. Comment ne pas entendre résonner ce que J.-A. Miller souligne comme « l’enseignement des malades à la présentation de Lacan6 » ? Faisant usage d’un psychanalyste lors d’une rencontre contingente, chaque patient nous enseigne ainsi sur ce qu’il a de plus singulier.
Andrea Orabona
[1] L’Institut hospitalier soins études pour adolescents (IHSEA) d’Aubervilliers fait partie du pôle I02 de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’Établissement publique de santé de Ville-Évrard. Ligia Gorini est la cheffe de pôle et Corinne Rezki-Maurin est la responsable de l’unité IHSEA. Les enseignants de la Section clinique qui y interviennent sont Ligia Gorini, Corinne Rezki-Maurin, Yasmine Grasser, Laure Naveau, Jean-Daniel Matet et Yves-Claude Stavy qui a créé ce service. Ils sont membres de l’ECF.
[2] Leguil F., Miller J.-A. & alii, « Examen critique de la présentation clinique au Val-de-Grâce », La Cause du désir, n°114, juillet 2023, p. 140.
[3] Leguil F., « L’expérience énigmatique de la psychose dans les présentations cliniques », La Cause freudienne, n°23, février 1993, p. 37.
[4] Ibid., p. 37.
[5] Briole G., « L’effet de formation dans la présentation de malades », La Cause freudienne, n°52, novembre 2002, p. 116.
[6] Miller J.-A., La conversation d’Arcachon, Paris, Agalma/Seuil, 1997, p. 299.