« C’est là une des fonctions fondamentales du sujet hystérique dans les situations qu’elle trame – empêcher le désir de venir à terme pour en rester elle-même l’enjeu. »[1]
Lola a vingt-trois ans. Elle vient de réussir l’agrégation, et poursuit des études supérieures prestigieuses. Lola danse beaucoup. Tous les soirs, quasiment. Elle va en cours avec Gérald, son « ex » et entretient avec lui une relation d’amour contrarié qui constituera la trame des 16 séances au CPCT.
Lola témoigne d’une question sur son désir, sur sa place dans le désir de l’Autre. Première séance : elle ne sait pas si elle peut ou doit venir, si elle en a « vraiment besoin ». Elle « panique quand (elle a) l’impression qu’(elle est) nulle, pas intéressante, et qu’(elle n’a) pas d’importance ».
L’invitation à venir s’intéresser à elle-même, semble la décider. Le transfert se noue à cette proposition inaugurale. Cependant, faire entendre dans ce « s’intéresser à elle-même » un désir qui porte sur son dire et le savoir inconscient qu’il recèle demande à contrarier un peu son appétence spéculaire à vouloir « rester elle-même l’enjeu » du désir de l’autre.
Sa panique « ce n’est pas de décevoir, c’est de se dire qu’on peut être décevant pour l’autre. ». Ne compte donc pas tant ce qu’elle imagine que ça fait à l’Autre (la déception en tant que telle), que ce que ça lui fait à elle : « Se dire qu’on peut être décevant pour l’autre », c’est pour elle, perdre la qualité de « centre des attentions », d’objet du regard. Ne pas être le phallus, serait insupportable à Lola.
Elle le vérifie dans le regard de l’autre, et lie son engouement pour l’enseignement, à ce qu’il faut, sous le regard des élèves, développer comme « moyens de les intéresser ». Ne pas dé-se-voir ? Lola s’identifie aux enseignants déployant ces trésors d’inventivité pour attirer l’attention des élèves. « Même en éducation civique, dit-elle. C’est rébarbatif la manière dont on explique les institutions de la République, (…) Je leur montrerais plutôt une vidéo de ceux qui se battent à l’assemblée nationale, ce serait plus intéressant. »
J’arrête la séance : – C’est ça : trouver un moyen de les intéresser ! »
Elle le vérifie aussi dans le transfert, en se présentant, le plus souvent, très apprêtée. Tenues décolletées, jeux de mains dans ses cheveux, minauderies sont courants. Le jour de son anniversaire, nous avons rendez-vous. Elle porte une robe très courte, espérant de Gérald une invitation à sécher la danse pour fêter l’évènement. Ne voyant rien venir, elle dit : « Tant pis, ce sera sa punition, s’il ne m’invite pas ce soir, je danserai avec lui, avec la jupe là !», désignant une certaine hauteur, très haut sur sa cuisse. Je ne réagis pas, et continue de suivre le fil de l’axe inaugural.
A ce point du traitement, Lola laisse entrevoir ce qu’elle sait de sa capacité à éveiller le désir chez Gérald, et le maniement qu’elle en a. C’est à la fois une arme contre, et un point d’accroche vers lui. Elle s’approche et s’éloigne, selon qu’elle se sent ou non cause de son désir. S’intéresser à elle-même au CPCT la mène sur la voie d’un usage du corps, en désagrégeant un regard trop présent.
A la dernière séance, Lola demande mes coordonnées en cabinet, je lui indique que la consultante pourra les lui donner. Et, quand cette dernière les lui transmet, elle dit : « J’aimerais ne pas avoir besoin de poursuivre. »
De « je ne sais pas si je dois venir » à « j’aimerais ne pas avoir besoin de poursuivre », Lola a donc fait son tour de piste au CPCT. Au delà des quelques points d’amélioration qu’elle repère, Lola a essentiellement redéployé dans le transfert la danse qu’elle mène avec les hommes. Et finalement, après avoir demandé mes coordonnées, pour ne pas venir, elle s’inscrit ainsi, d’une certaine manière, comme attendue au cabinet, désirée comme patiente, ce qui pourrait bien lui suffire, au moins quelques temps.
[1] Lacan J., Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation, Seuil, 2014, p. 505.