Ce livre[1], paru dans l’ombre de la fin 2015, n’a pas fini de faire parler de lui. François Leguil ne s’y trompe pas en faisant le pari qu’il est bien plus qu’un « travail de laboratoire » et « qu’il prendra peut-être parmi nous la place d’un classique »[2].
Au delà d’être un livre rigoureux, articulé par la clinique, il réalise ce tour de force de donner tout son poids de réel à l’Œdipe. Quand certains enterrent l’Œdipe en le psychologisant, Elisabeth Leclerc-Razavet, Georges Haberberg et Dominique Wintrebert lui rendent son tranchant en révélant son scandale : la découverte par l’enfant que sa mère est une femme. Ce trou-matisme auquel se confronte l’enfant est abyssal. C’est l’Œ-deep.
La féminité a minima, avance Élisabeth Leclerc-Razavet, « c’est le manque phallique »[3]. Voilà de quoi faire bondir les féministes ! Et pourtant sous l’apparence d’un phallo-centrisme, et d’une essentialisation de la féminité, c’est bien le réel qui « prend la parole ». Dur à croire si l’on regarde cette Autre scène qu’est l’inconscient à partir du ciel des idées. Pour preuve du réel en jeu, vous lirez le cas de Frédérique Bouvet commenté avec précision par Dominique Wintrebert à propos d’un symptôme d’énurésie secondaire qui est « une réponse dans le réel à la problématique inconsciente de la mère », à savoir un penisneid : « Le flot urinaire prend ici une valeur phallique et vient ainsi démentir la castration féminine »[4].
Ainsi « l’Œdipe c’est un mythe tandis que le complexe de castration c’est à proprement parler la structure »[5]. Seulement, le complexe de castration, considéré comme « nœud dans la structuration dynamique des symptômes »[6] névrotiques, pervers et psychotiques « ne prend de fait […] sa portée efficiente qu’à partir de sa découverte comme castration de la mère »[7].
Le roc de la castration, maternelle donc, exige une réponse du sujet : accepter ou non qu’il n’y ait « rien plutôt que quelque chose »[8]. Ce choix du sujet dépend de la relation qu’entretient la mère à son manque. Ce que résume cette phrase-clef de Georges Haberberg qui jalonne le livre : « Ce qui doit orienter notre acte, c’est la castration de la mère et la forme de son manque, car c’est là que se produit le sujet »[9]. De là, tous les cas sont permis : cas comme autant de pépites, dans ce livre, qui tordent le cou aux clichés du type « Papa pique et Maman coud ».
L’Œ-deep nouvelle génération donne aussi paradoxalement toute sa place au père réel, qui a pour fonction de s’occuper de la féminité de la mère et de « consentir au pas-tout qui fait la structure du désir féminin »[10].
Ce n’est pas une mince affaire car le pas-tout désigne tout autant une logique phallique que son au-delà. En effet, d’une part la mère en tant que femme, manque, ce qui l’introduit à un commerce phallique avec l’homme ; d’autre part, sa jouissance n’est pas-toute phallique, toujours Autre, insondable. Il importe, pour l’enfant, que ce dédoublement de la jouissance féminine soit à la charge du père. Ne vous inquiétez pas, le livre vous aidera à savoir lire les embrouilles entre les pères et les mères à travers un usage pratique du tableau de la sexuation de Lacan !
[1] L’enfant et la féminité de sa mère, Sous la direction d’E. Leclerc-Razavet, G. Haberberg et D. Wintrebert, L’Harmattan, Paris, 2015.
[2] Voir Lacan Quotidien n°560.
[3] Leclerc-Razavet E., « Une femme, ma mère ? », L’enfant et la féminité de sa mère, p. 18.
[4] Bouvet F., L’enfant et la féminité de sa mère, p. 60.
[5] Miller J.-A., Discours de clôture à PIPOL, voir site de l’Euro-fédération de psychanalyse : http://www.europsychoanalysis.eu/index.php/site/page/fr/7/fr/bulletin/
[6] Lacan J., « La signification du phallus », Écrits, tome II, Seuil, Coll. Points, p. 163.
[7] Lacan J., ibid. p. 164.
[8] Miller J.-A., « De la nature des semblants », 1991-1992, inédit.
[9] Haberberg G., « Points de repères », L’enfant et la féminité de sa mère, p. 35.
[10] Miller J.-A., « L’enfant et l’objet », La petite Girafe n°18, p. 10.